27 octobre 2023

Transition écologique : L’Europe prisonnière des minerais chinois

Amund Trellevik || ""
Amund Trellevik
Attila Kálmán || ""
Attila Kálmán
Une ruée mondiale vers les minéraux est en cours. L'Europe veut relancer son industrie minière pour s'assurer le lithium, le nickel, le cuivre et les terres rares nécessaires à un avenir vert. Investigate Europe a enquêté sur la chasse aux matières premières critiques.
“Pendant 130 ans, on a empiété sur nos terres, pendant 130 ans, en Europe, le peuple Sámi a été abusé”, explique Karin Kvarfordt Niia.

Dans le nord de la Suède, dans les environs de la ville de Kiruna, le sol s’affaisse lentement. C’est là que se trouve depuis le XIXème siècle la plus grande mine de fer d’Europe. Cette terre riche en minéraux a tellement été creusée que la capitale du peuple sámi et ses 18 000 habitants pourrait être engloutie. Il y a quelque temps, les autorités ont donc pris la décision… de déménager le centre-ville. Qui a signé le chèque de cette opération titanesque? LKAB, la compagnie d'État, la même qui exploite la mine destructrice. 

Kiruna a été construite sur une terre appartenant aux Sámi, un peuple autochtone installé au nord de la Suède, de la Finlande et de la Norvège. Peu importe : la compagnie minière, main dans la main avec le gouvernement suédois, a décidé de creuser un nouveau puits, pour accéder à de nouveaux filons de terres rares et de fer. Pour l’État, c’est un plan en or pour s’assurer développement et prospérité à long terme. Pour les Sámi, c’est une autre histoire : la compagnie minière va encore s’accaparer un morceau de leur terre ancestrale.

“Ils ont déjà asséché tous les lacs où nous pêchions, ils ont pris les terres où l’on faisait paître nos rennes. Nous avons déplacé nos villages”, raconte Karin Kvarfordt Niia, une porte-parole de la communauté. 

La nouvelle ère des terres rares


Au XIXème siècle, il y a eu l’explosion mondiale des mines de charbon ; au XXème la fièvre d l’Or noir, le pétrole. Le XXIème siècle sera lui, le siècle des métaux stratégiques, en particulier issus des terres rares. En quelques décennies, des métaux comme le lithium, le cobalt ou le nickel sont devenus cruciaux. Cruciaux pour les secteurs de la défense ou de l’espace, mais aussi pour faire fonctionner les batteries de nos véhicules électriques, nos smartphones, nos téléviseurs et nos ordinateurs portables.

Les métaux stratégiques sont aussi devenus la clef de voûte de la “transition énergétique” européenne. Bruxelles soutient qu’elle ne peut atteindre ses objectifs climatiques et sortir des énergies fossiles sans ces terres rares qui permettent aux technologies solaires, éoliennes de tourner, sans ses millions de voitures électriques qui permettront de sortir progressivement des énergies fossiles. Problème : L’UE n’en extrait pas. 
Le plus gros gisement de terres rares a été découvert dans le sous-sol de Kiruna, en Suède.

Karin Kvarfordt Niia, porte-parole des Sámi considère que d'avantage de mines dans la zone serait dommageable à sa communauté.

L’Union européenne est totalement dépendante de pays extérieurs pour s’en procurer. Dix pays en dominent l’extraction, la Chine bien sûr, mais aussi la Russie, le Chili et la République démocratique du Congo. Suite à l’invasion de l’Ukraine, l’Europe a sanctionné le pétrole et le gaz russe, mais les importations de métaux stratégiques continuent. Dans notre dernière enquête, nous avons ainsi révélé que des entreprises européennes - dont les françaises Airbus et Safran- avaient acheté pour 13,7 milliards d’euros de métaux stratégiques à la Russie, depuis le début de la guerre.

Mais c’est avant tout de la dépendance chinoise dont l’UE veut se défaire. “L’Europe dépend à 98% des terres rares chinoises; à 93% de leur magnésium et à 97% de leur lithium”, a expliqué la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, en mars dernier.
Pour s’affranchir du joug de Pékin, une véritable course aux métaux stratégiques a été lancée dans toute l’Europe. A marche forcée, des projets miniers - une première depuis des décennies- ont éclos partout, un règlement européen dédié, le CRM Act, est en passe d’être voté à la vitesse de l’éclair, quant à l’expression “mine verte” (green mining) elle est sur toutes les lèvres des porte-paroles et autres lobbyistes à Bruxelles. 

Malgré tout, le chemin est encore long. Aujourd’hui, la plupart des métaux rares extraits sur le territoire européen ne le sont qu’en très faibles quantités et le traitement et le raffinage du minerai ont quant à eux été complètement externalisés hors-UE.  
Le complexe minier de terres rares, dans le Xinjiang en Chine.Shutterstock

“Nous sommes à 100% dépendants de la Chine”


“Même quand nous trouvons des terres rares à l’intérieur de l’Union européenne, nous les envoyons en Chine”, explique Stéphane Bourg du BRGM, le Bureau de Recherches Géologiques et Minières. “L’UE ne dispose d’aucune infrastructure pour transformer en aimant des oxydes de terres rares. Si je venais déverser 10 000 tonnes de néodyme dans votre jardin, vous ne sauriez pas quoi en faire.”

Le néodyme est un métal argenté du groupe des terres rares qui est hautement magnétique, mais ce n’est pas sa seule vertu : il garde cette propriété même à de très hautes températures et permet donc de fabriquer les aimants industriels les plus performants. Trois autres éléments - le terbium, le dysprosium et le holmium- font mieux encore. Ces matériaux ont deux choses en commun : ils sont utilisés pour la fabrication des armes dernière génération et des voitures électriques. Problème : la Chine en contrôle totalement le marché. “Nous sommes à 100% dépendants de la Chine”, a résumé le directeur de Volkswagen, Thomas Schmall, dans les colonnes du Wall Street Journal. 

Mais la guerre des métaux rares n’est pas encore perdue. D’ailleurs le CRMA act, le règlement sur les matières premières critiques (CRMA) pourrait devenir l’un des textes législatifs européens la plus rapidement adoptés de l’histoire. 

La Commission a présenté sa proposition le 16 mars dernier. Le texte pourrait être adopté par le Parlement et les Etats membres d’ici la fin de l’année. Aucun objectif national n'est officiellement à la l'ordre du jour. Cependant, les objectifs fixés par la Commission européenne d’ici 2030 parlent d’eux-mêmes :

  • au moins 10% de la consommation annuelle devra être extraite localement
  • au moins 40% de la consommation annuelle devra être transformée localement
  • au moins 15% de la consommation annuelle devra être recyclée localement
  • pas plus de 65 % de la consommation annuelle de l'UE ne doit provenir d'un seul pays tiers
En 2011, déjà, la Commission européenne avait créé une liste des matières premières stratégiques. Elle incluait 14 métaux ou groupes de métaux. Cette année, on en compte 34. Un signe de leur importance croissante sur les plans économique, stratégique et climatique pour le continent. “Nous devons apporter la preuve que le Green Deal n’est pas “made in China”, défend Rolf Kuby, directeur général du lobby de l’industrie minière, Euromines. 

L’industrie a une “grande influence”


Lors d’une réunion en juin dernier à Bruxelles, les États membres ont proposé d’ajouter de nouveaux métaux à la liste des matières premières critiques pour 2023. Seize d’entre eux avaient déjà récemment été labellisés comme “stratégiques”, ce qui signifie que les projets les concernant seront prioritaires pour recevoir des fonds européen. La liste des matières premières critiques est basée sur une analyse du Centre commun de recherche, un institut européen. Mais la décision n’est pas que scientifique : “c’est une décision politique”, a confié une source anonyme à Investigate Europe qui a travaillé sur les différentes versions du CRM Act. 

Le nickel et le cuivre n’ont pas encore tous les critères pour être déclarés “critiques”… mais ils ont néanmoins été inclus dans la liste, suite à des pressions politiques, d’après cette source haut placée. Le bauxite a également été ajouté suite au lobbying de plusieurs États membres. De son côté, la Pologne, producteur majeur de charbon à coke, a réussi le miracle de faire ajouter ce dernier à une liste présentée par les dirigeant·e·s de l’UE comme essentielle pour la transition verte.
Neodymium est un métal de terre rare essentielle à la construction des armes modernes et des voitures électriques

L'Europe dépend à plus de 90% de la Chine concernant les terres rares

L’industrie a une “grande influence” sur la nouvelle législation, selon l’ONG Friends of the Earth. Les compagnies minières, métallurgiques ou minérales et leurs groupes de lobbying mettent d’ailleurs les moyens : D’après l’enquête d’Investigate Europe, ils ont dépensé plus de 21 milliards d’euros sur un an et depuis 2014 participé à près de 1000 rendez-vous avec des responsables européens.

La proposition de loi sur les matières premières critiques, en cours d’examen à Bruxelles, semble répondre à tous les souhaits de l’industrie : traitement plus rapide des demandes de permis, auto-régulation, et autorisation de projets “stratégiques” pourtant nocifs à l’environnement dans le cas où ils présentent un “intérêt général supérieur”. “Telle que la législation se présente actuellement, c’est un très bon exemple d’accaparement d’une loi par l’industrie”, conclut Friends of the Earth

La député européenne Henrike Hahn, interrogée par IE, confirme que l’industrie se frotte les mains. “Elle attend un passage rapide de cette loi, dit-elle. Quant aux représentant.es politiques font également pression parce qu’ils veulent présenter de bons bilans à leurs électeurs”.  

Partout en Europe, des communautés locales résistent aux projets miniers 


En Suède, la lutte de la communauté Sámi est un exemple de la résistance grandissante de la population envers l’industrie minière : si l’Europe dépend moins de la Chine, cela signifie qu’elle doit creuser sous les pieds des citoyens et citoyennes de l’UE.

Certaines choses ne sont pas renouvelables : une fois extraite, elles disparaissent à jamais.

Carla Gomes, activiste portugaise

En France, deux ONG locales, Stop Mines 03 et Préservons la forêt des Colettes, mènent la lutte depuis un an contre l’ouverture prévue pour 2028 de la plus grande mine de Lithium du pays, dans l’Allier. Les deux organisations qui dénoncent un projet écocide qui pourraient polluer leurs terres et leurs rivières organisent réunions d’information et actions de visibilité locales. On est loin d’une ZAD et pourtant cet engagement inquiète visiblement le gouvernement Macron, fervent soutien du projet. D’après une carte obtenue par le JDD, le secteur a été placé sous surveillance comme “site avec une contestation susceptible de se radicaliser à court terme” par les services du ministère de l’Intérieur. 

À Kassandra, dans le nord de la Grèce, ElDorado Gold a carrément fait clôturer une montagne entière où elle souhaite exploiter une mine de cuivre souterraine. La firme canadienne possède une succursale sur place, Hellenic Gold, qui a été plusieurs fois reconnue coupable de violation de régulations environnementales. Des activistes locaux se sont aussi lancés dans un combat contre cette mine dénonçant une possible rupture des barrages contenant les boues toxiques (en cas de survenue d’événements climatiques extrêmes) ou la pollution de l’eau potable pour les résident·e·s. 

“Nous avons mis en place un important dispositif de surveillance pour s’assurer que nos opérations n’affectent pas la qualité de l’eau”, défend Emmy Gazea, la responsable environnementale de la compagnie. 

Deux projets de mines de lithium, dans la région nord de Trás os Montes au Portugal ont aussi suscité un intense débat sur le bien fondé de la présence industrielle dans des zones  sauvages. La région est en effet considérée par les Nations Unies comme un "système de patrimoine agricole d'importance mondiale". Il n’existe que huit espaces naturels comme celui-ci en Europe, c’est l’unique au Portugal. 

Le gouvernement l’assure : seule “une toute petite portion” du territoire serait concernée. Mais Carla Gomes est loin d’être convaincue. Née dans un petit village voisin de l’une des mines, elle organise désormais un mouvement contre le projet minier qui rassemble des manifestants de tous horizons. 

“Certaines choses n’ont pas de prix”, dit-elle. “Certaines choses ne sont pas renouvelables, une fois extraites, elles auront disparu à jamais. Quand ces montagnes seront transformées en mine, il n’y aura plus de montagnes et plus rien ne sera jamais pareil.”
Carla Gomes a lancé un mouvement anti mine pour s'opposer à un projet de mine de lithium dans une région sauvage du nord du Portugal.

Les habitant·e·s craignent les dommages que le site Barroso provoquerait sur la nature environnante, protégée par les Nations Unies

L’UE décroissante? 


Les citoyens et citoyennes de l’UE sont-ils pour autant prêts à renoncer aux objets de leur vie moderne et confortable? “Il y a des hypocrites!  s’emporte en brandissant le téléphone d’un collègue Peter Tzeferis, haut fonctionnaire des mines au ministère de l’environnement et de l’énergie en Grèce. Ils ou elles veulent un téléphone, et pour pas trop cher, mais refusent de réfléchir aux métaux que cela nécessite et où il faut aller les chercher. Je le répète depuis des décennies, maintenant je jette l’éponge. Les gens préfèrent ne pas savoir”. 

Réduire la demande en métaux en cessant toute activité minière n’est pas à l’agenda de l’UE. Dans une analyse d’impact de 200 pages publiée par la Commission en même temps que la proposition de loi, cette question basique ne remplit qu’une petite case, dans la dernière annexe. 

Ce sont les évaluations industrielles qui prévalent. L’appétit pour ces matières premières est un puits sans fond : dans les trente prochaines années, l’espèce humaine devra creuser plus qu’elle ne l’a fait en 70 000 ans. “Nous, les 8 milliards d’individus que nous sommes, allons utiliser plus de métal que les 108 milliards d’humains qui ont vécu avant nous”, estime Guillaume Pitrón, auteur du livre “La guerre des métaux rares” (ed. Les liens qui libèrent).

Les gens sont hypocrites. Ils ou elles veulent un téléphone, et pour pas trop cher, mais refusent de réfléchir aux métaux que cela nécessite

Peter Tzeferis, haut fonctionnaire des mines au ministère de l’environnement et de l’énergie en Grèce

Une étude européenne souvent citée et financée par le lobby de l’industrie minière, Eurometaux, estime que d’ici 2050, nous utiliserons 21 fois plus de lithium, 4 fois plus de cobalt (composant important pour les batteries) et quatre fois plus de dysprosium (un élément de terres rares utilisé pour les aimants dans les moteurs électriques).  

Liesbet Gregoir, autrice de l’étude, souligne qu’elle a basé ses calculs sur les données de l’agence internationale de l’énergie (IEA). “Le monde doit investir dans de nouvelles mines. Déjà, à court terme, nous n’avons pas assez de déchets à recycler pour construire des voitures électriques et des éoliennes. La seule matière première que nous avons vient de la mine”, explique-t-elle. L’étude prédit que le secteur du transport entrainera 60% de la hausse de la demande, car l’UE a décidé d’interdire la construction de véhicules thermiques dès 2035. 

De l’Or sous les pieds des Européens et des Européennes


Un rapport de 2021 de l’IEA a prédit que la demande totale en minéraux sera multipliée par un chiffre entre deux et quatre entre 2020 et 2040. Quant à la demande en métaux liés à la construction de batteries au lithium, elle pourrait être multipliée par 42.
Les projections de l’IEA ainsi que d’autres études de l’UE ou de la Banque mondiale, “se trompent sur les besoins futurs en matières premières”, estime Diego Marin, chargé de mission au Bureau européen de l'environnement, une ONG. Il estime que l’étude ne fait pas de différence entre ce qui est vraiment nécessaire et ce qui relève du gâchis. “Ces projections se basent aussi beaucoup sur la supposée explosion du véhicule individuel et fait là une prophétie auto-réalisatrice de la dépendance à l'égard de la voiture. Ce qui correspond au discours de l’industrie automobile.”

Pas étonnant que même Euromines soit incapable de donner des estimations en termes d’investissements et du nombre de nouvelles mines nécessaires, en tenant compte des différentes projections. “Il est impossible de donner les chiffres, a répondu Rolf Kuby, stipulant que de nombreux facteurs entrent en jeu, du développement technologique aux variations des prix de l’énergie, en passant par les procédés industriels dont il est impossible de prévoir les révolutions à venir”.
Il existe à peu près 100 mines de métal en activité en Europe actuellement, parmi elles entre 40 et 50 extraient des matières premières stratégiques, selon l’IEA. Rolf Kuby, d’Euromines, rêve d’en voir une centaine de plus apparaître d’ici dix ans. En Suède, Grèce, au Portugal, notamment mais aussi en France, Norvège et en Pologne ou des projets d’ouvertures de mines sont déjà sur les rails, d’après le lobbyiste.  

“L’ouverture d’une mine est un marathon”


L'étendue véritable des réserves européennes de minéraux est inconnue car très peu d’études géologiques d’ampleur ont été conduites ces quarante dernières années. 

“La Chine quant à elle est sans cesse en recherche de nouveaux gisements, contrairement à nous en Europe, qui avons cessé toute exploration minérale systématique”, avance Alecos Demetriades, un géologue à la retraite spécialisé dans l’exploration minière à l’institut de géologie et d’exploration minérale (IGME) d’Athènes. 

L’exploration n’est qu’une première étape. Autoriser l’ouverture d’une mine est un marathon, les permis mettent des années à être délivrés. Il est donc normal que beaucoup fassent pression pour que la loi sur les matières premières critiques accélère le mouvement.

Une mine de cuivre à Huelva, en Espagne. Entre 40 et 50 sites comme celui-ci existent sur le continent.

Les banques qui accepteraient de prêter de l’argent pour les projets miniers se comptent sur les doigts de la main. Ouvrir ne serait-ce qu’un site implique un coût d’un milliard d’euros, selon Euromines. “Cette stratégie ne pourra jamais être mise en place sans financement”, explique Margrethe Vestager, commissaire européenne à la concurrence. “L’argent ne devrait pas passer par la Commission, qui est une grande institution et pas une banque”. 

Malgré quelques tentatives, la Commission n’a pas réservé de fonds particuliers pour sa politique minière. Aux Etats-Unis, c’est une tout autre partition qui est jouée : des centaines de milliards de dollars sont injectés pour assurer la transition verte. Certaines sociétés européennes, en particulier dans le marché des batteries, lorgnent sur ces subventions et choisissent les États-Unis plutôt que l’Europe.

La Commission a suggéré que certains États membres piochent dans des budgets déjà existants, afin de financer leurs projets miniers. L’Allemagne a déjà mis un milliard d’euros de côté, la Suède et la France s’apprêtent à faire de même. Mais des pays  moins fortunés n’en n’auront sans doute pas les moyens. “Nous ne pouvons pas dépendre des aides publiques allouées par les Etats membres pour développer l’Europe, car sinon elle ne se développera non pas à deux vitesses mais à de nombreuses vitesses différentes”, ajoute Margrethe Vestager.

Bien que la Commission soutienne l’idée d’ouvrir de nouvelles mines, il n’existe pas de budget spécifique et la Banque européenne d’investissements n’a pas l'intention de combler ce manque. Il ne reste donc que deux moyens pour booster les mines européennes : à travers les aides publiques allouées par les Etats de l’UE pour développer l’industrie minière, ou en subventionnant l’expansion de sociétés minières déjà existantes. Mais seules 8% des 200 plus grosses sociétés minières du monde, en termes de capitaux, sont européennes

La Chine est sans cesse en recherche de nouveaux gisements contrairement à l'Europe, qui a cessé toute exploration minérale systématique

Alecos Demetriades, géologue de l’institut de géologie et d’exploration minérale (IGME) d’Athènes, désormais à la retraite

Pékin, elle, ne s’intéresse pas aux résultats trimestriels de ses entreprises. Elles voient les choses à long terme. En 1987, quand les États-Unis dominaient encore l’industrie minière et que ces métaux avaient bien moins d’importance à l’échelle mondiale, le Président Deng Xiaoping avait dit : “Le Moyen-Orient a le pétrole, la Chine a les terres rares”. Cette phrase fut prononcée à Baotou, où sont extraites aujourd’hui plus de la moitié des terres rares dans le monde. 

“La Chine contrôle le raffinage des métaux, ils s’en fichent de quel pays peut bien creuser,, explique James Kennedy, PDG d’une mine aux Etats-Unis, qui conseille Washington sur les terres rares. “En fait, ils préféreront sans doute que vous creusiez vous-même, que vous polluiez votre propre pays et diminuiez vos ressources. Ensuite, eux, ils raffinent et descendent les prix si bas que plus personne ne peut rivaliser”. 

En Chine, les industries d’extraction, de raffinage et de métallurgie subventionnées par l’État ne travaillent pas avec le seul objectif du profit ou des dividendes des actionnaires. L’objectif est plutôt géopolitique. Si elle contrôle les matières premières, la Chine peut aussi contrôler un grand nombre d’industries stratégiques et par là même ses concurrents. Du point de vue de l’UE, la Chine est devenue “un rival systémique”. 
En dépit de leurs noms, les métaux issus de terres rares sont assez communs dans la croûte terrestre. Elles sont qualifiées de rares parce que l’on n’en trouve ordinairement que quelques grammes sur plusieurs tonnes de pierres. Voilà pourquoi, quand la Suède a annoncé l’année dernière avoir trouvé un important gisement de terres rares à Kiruna, cela a déchaîné les passions.

Pour arriver aux métaux rares, il faut extraire des centaines voire des milliers de tonnes de roches pour obtenir un kilo de métaux de terres rares. Ces roches sont écrasées, plongées dans l’acide et au bout d’une longue chaîne de raffinage, surgit le métal tant espéré. Sans compter les tonnes de gravats qui sont considérées comme des déchets dangereux pouvant potentiellement contenir des éléments radioactifs.

Des mouvements écologistes, aux États-Unis ou en Europe, se sont farouchement opposés non seulement à l’extraction, mais aussi aux entreprises de raffinage. Les Etats se sont par conséquent tournées vers les Chinois. L’idée est simple  : laissons les Chinois descendre au fond de la mine pendant que l'Occident reste à l’abri. 

On connaît le résultat : les enfants travaillant dans les mines de cobalt au Congo, le manque d’eau au Chili, la destruction des paysages en Chine. Les Occidentaux ont pu détourner le regard pendant de longues années  : les profits ont continué de grimper, les consommateurs ont pu s’approprier les gadgets qu’ils désiraient et la pollution générée par leurs nouvelles envies étaient de toute façon loin des regards.

La perspective d’ouvrir une multitude de nouvelles mines en Europe est un mirage. La Chine a poursuivi son marathon, sa stratégie, tout en payant les coûts environnementaux nécessaires. En plusieurs décennies, elle a creusé, renforçant sa propre défense, ses industries high-tech et automobiles. Cette année, les exportations de voitures chinoises ont dépassé les exportations allemandes.
La Chine a désormais des intérêts dans l'ensemble de la chaîne de valeur des matières premières essentielles. Ici, des ouvriers de Jiujiang fabriquent des produits électroniques destinés à l'exportation internationale.

Ouvriers sur une ligne de production de feuilles de cuivre pour batteries électroniques au lithium dans la province de Jiangxi.

Face à cela, la Commission européenne travaille à faire converger les besoins des industriels européens. Mais la perspective d’ouvrir une multitude de nouvelles mines en Europe est en réalité un mirage. D’ailleurs Bruxelles cherche déjà dans une autre direction.

En juin, Ursula von der Leyen a multiplié les visites au Brésil, en Argentine, au Chili et au Mexique. Elle a serré les mains de nombreux·ses élu·e·s, rencontré des chef·fe·s d’entreprises, d’importants acteurs et actrices du secteur. Elle a annoncé que l’UE allait investir 10 milliards d’euros dans 108 projets “verts” en Amérique Latine et aux Caraïbes. La Présidente de la Commission européenne a signé un protocole d’accord sur les matières premières avec l’Argentine, et un accord avec le Chili. La Commission avait déjà signé des partenariats stratégiques avec le Canada, l’Ukraine, le Kazakhstan et la Namibie. Elle négocie en parallèle avec huit autres nations, dont la République démocratique du Congo et l’Australie.
Champs de lithium dans le désert d'Atacama. L'UE a récemment signé un accord avec le Chili sur les matières premières essentielles.Shutterstock

Sous couvert d’anonymat, un diplomate européen admet que ces partenariats étaient la seule solution trouvée pour le moment. L’UE exigerait de ses nouveaux partenaires les mêmes standards qu’elle applique en Europe et qu’elle soutenait une “méthode d’extraction respectueuse de l’environnement”, a-t-il ajouté. Rien n’est dit toutefois sur la façon dont l’Europe entend s’assurer du respect de ces standards sur le terrain.

Extraire et raffiner les métaux sont des activités très polluantes par nature. Ce qui signifie que la stratégie de l’Europe sur sa dépendance n’a pas vraiment changé en trente ans : la position par défaut est toujours de maintenir le niveau de vie et la consommation des Européen·ne·s en exportant à l’autre bout du monde les conséquences environnementales. 

Certes, quelques projets sont déjà mis en œuvre dans le Nord de l’Europe, mais des centaines de mines ne vont pas sortir de terre du jour au lendemain. Le développement controversé de Kiruna en est l'exemple même. C’est la face cachée de la course à la neutralité climatique. Comme le rappelle Håkan Jonsson, président du Parlement Sámi en Suède : “la transition verte est devenue la transition noire”.

Éditeur·ice·s : Chris Matthews et Ingeborg Eliassen
Graphiques : Marta Portocarrero
Traduction : Anne-Laure Pineau

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