Dans le secret des institutions est une enquête au long cours. Nos journalistes dévoilent les secrets de la fabrication des lois dans les rouages de l’Union européenne.
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Le 12 juin dernier, le bureau du Parlement européen entérinait la décision de réduire de moitié les versements du fonds de pension volontaire aux bénéficiaires en vue d’éviter une banqueroute générale. Mais certain·e·s, se sentant injustement lésé·e·s, entendent porter l’affaire devant la Cour de justice de l’Union européenne.
L’affaire du sauvetage du Fonds de pension volontaire du Parlement européen (relire notre enquête), révélé il y a quelques semaines par Investigate Europe, continue de faire des vagues. Les bénéficiaires du Fonds de pension volontaire, d’ancien·e·s élu·e·s de l’institution, s’apprêtent à mener une bataille judiciaire contre le Parlement européen.
Des membres du Fonds préparent en effet un recours collectif contre la décision prise le mois dernier par l’institution de réduire les versements de ce régime afin d’éviter une faillite imminente.
Investigate Europe avait rapporté en mai l’existence d’un déficit de plus de 300 millions d’euros dans le Fonds de pension volontaire du Parlement européen. Ce régime, peu connu du grand public, comprend parmi ses quelques 900 membres de nombreuses personnalités de premier plan, à l’instar de Marine Le Pen et de son père, l’ancien Premier ministre chiraquien Jean-Pierre Raffarin, le Brexiter Nigel Farage, ainsi que l’actuel chef de la politique étrangère de l’UE, Josep Borrell.
Après des années d’inaction, le bureau du Parlement européen, responsable des affaires internes de l’institution, a pris récemment des mesures face à la pression médiatique croissante, notamment après nos révélations en pleine réforme des retraités dans l’hexagone.
Le 12 juin, il a officiellement décidé de réduire de 50 % les prestations du régime, de geler les augmentations liées à l’inflation et de relever l’âge de la retraite de 65 à 67 ans. Objectif : effacer la majeure partie du déficit du Fonds et de le placer sur une « trajectoire plus durable » (relire notre article).
Sans surprise, la décision n’a pas fait l’unanimité parmi les affilié·e·s, qui sont nombreuses et nombreux à compter sur les généreuses prestations du régime. Le Fonds a fermé ses portes aux nouveaux souscripteur·ice·s en 2009. Toutefois, certain·e·s bénéficiaires peuvent recevoir, selon nos calculs, jusqu’à 6800 euros par mois, ce qui représente un complément appréciable à des pensions parlementaires qui peuvent dans certains cas s’élever jusqu’à près de 7000 euros.
Ainsi, lors d’une réunion à Bruxelles le 29 juin, le conseil d’administration du Fonds, le « Board » en anglais, composé d’une dizaine d’ancien·ne·s député·e·s européen·ne·s pour la plupart, a décidé de contester la décision devant la Cour de justice de l’Union européenne.
Stephen Hughes, président du Fonds et eurodéputé travailliste britannique jusqu’en 2014, a confirmé à Investigate Europe qu’un recours collectif pour contester la décision serait lancé devant la Cour d’ici le mois d’octobre.
Le cabinet d’avocats espagnol Uría Menéndez, qui a représenté les membres du fonds lors de précédents recours infructueux, devrait à nouveau les défendre. On ne sait pas encore combien de membres participeront à l’action en justice.
« Nous espérons qu’un grand nombre de membres soutiendront l’action collective », a confié M. Hughes à Investigate Europe. « Mais ils et elles devront peser soigneusement le pour et le contre. Si le jugement est en notre faveur, ils et elles seront indemnisé·e·s, mais s’ils et elles perdent, ils et elles pourraient avoir à couvrir les frais du procès ».
Ces irréductibles du Fonds de pension souhaitent s’appuyer sur les arguments d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne de mars 2023, qui a rejeté un recours de l’ancienne eurodéputée Les Républicains, François Grossetête, contre une décision antérieure du bureau qui touchait à la marge les prestations versées.
Les juges avaient déclaré dans leur arrêt que la réduction des pensions était légalement admissible dans les cas d’insolvabilité « à condition que le principe de proportionnalité soit respecté ». En outre, ils avaient ajouté qu’il était toujours nécessaire de « mettre en balance les intérêts en présence ». En d’autres termes, il est important de prendre en compte les autres rémunérations, en particulier la pension légale.
« La décision du bureau a été préparée avec le service juridique du Parlement et s’appuie sur la décision de la Cour du mois de mars », a déclaré à Investigate Europe le porte-parole de la Présidente du Parlement européen, Roberta Metsola. « Nous sommes convaincu·e·s que la décision est solide, mais il y a bien sûr un droit inscrit dans les traités pour un individu de contester une décision qui l’affecte ».
Une source parlementaire a expliqué à Investigate Europe que les modifications du Fonds de pension volontaire, qui sont entrées en vigueur le 1er juillet, représentaient le scénario de « risque moyen » pour le bureau, étant donné qu’elles comprennent non seulement une réduction des paiements, mais aussi des coupes supplémentaires. L’eurodéputé vert allemand Daniel Freund, ancien rapporteur sur le budget du Parlement européen et virulent adversaire du Fonds, estime que la décision est juridiquement solide. « Mais on ne sait jamais ce que la Cour européenne de justice va dire à la fin », a-t-il ajouté.
Selon M. Hughes, la décision de réduire les paiements de pension est en contradiction avec les deux principes énoncés par la Cour dans son arrêt de mars. « Le bureau du Parlement européen, qui a précipité la décision après le récent tapage médiatique, en est parfaitement conscient », a-t-il déclaré.
Il estime que Mme Metsola a joué un jeu politique. Selon lui, l’objectif premier était d’éviter un scandale potentiel avant les élections européennes de juin 2024, qui aurait encore plus miné la réputation de l’institution, déjà mise à mal par la crise de corruption du Qatargate.
Mme Metsola « refile la patate chaude à la prochaine présidence du Parlement européen », affirme M. Hughes, soulignant qu’une décision finale sur le Fonds n’interviendrait qu’après la procédure judiciaire, qui pourrait prendre jusqu’à deux ans. Le successeur de Mme Metsola, qui devrait être un social-démocrate, pourrait ainsi se retrouver avec la tâche peu enviable de devoir gérer les retombées de la controverse.
Selon M. Freund, la décision du bureau « ne peut être interprétée comme une stratégie pour gagner du temps ». D’autant plus qu’on ne sait pas si Mme Metsola a renoncé à briguer un autre mandat présidentiel, a-t-il ajouté. De plus, « la coutume de la présidence tournante entre le PPE [le parti droite dont est membre Mme Metsola] et le S&D [Socialistes & Démocrates] n’est pas gravée dans le marbre ».
Quoi qu’il advienne, dans sa décision de juin, le bureau du Parlement européen entend revenir sur sa décision l’année prochaine, dans l’espoir d’introduire des réductions encore plus importantes dans le Fonds, comme nous l’a confié une source proche du dossier.
Quant aux bénéficiaires, ils et elles constateront les réductions de leurs pensions complémentaires pour la première fois ce mois-ci. Si la Cour européenne de justice devait estimer que la décision du bureau n’était pas proportionnée, le Parlement pourrait être contraint de rembourser les membres du Fonds. Et se trouver dans l’obligation de remettre massivement de l’argent sur la table pour éviter la faillite. L’affaire n’est donc pas close, loin s’en faut.