UE veut réduire l’usage des pesticides, mais se donnera-t-elle les moyens de le mesurer ?

Credit: Alexia Barakou

Pendant près d’un an, le débat fut intense. Mais les négociateur.trices de la Commission européenne, du Parlement européen et du Conseil des Ministres sont enfin parvenu.e.s à un accord le deux juin dernier, sur le nouveau règlement relatif aux statistiques sur les intrants et les produits agricoles (SAIO).

Cette loi tend à trouver un équilibre entre la rationalisation de la collecte de données agricoles ( le type de pesticides et les quantités utilisées) sans que tout cela ne donne trop de fil à retordre aux industriels et aux autorités nationales.

Aujourd’hui, il n’existe pas de données crédibles sur l’utilisation des pesticides en Europe. Ce que l’on sait, c’est qu’en 2020 346000 tonnes de pesticides ont été vendues en UE, un volume qui reste stable depuis une décennie, avec une petite baisse ces dernières années.

Mais ces données commerciales ne sont pas suffisantes pour mesurer et surveiller les 50% de baisse des pesticides prévues jusqu’à 2030, une ambition appartenant à la stratégie « de la ferme à la fourchette sur laquelle les gouvernements européens se sont mis d’accord. Cette semaine, la Commission européenne a proposé en plus des objectifs contraignants, dans le cadre de la proposition de règlement sur l’usage durable des pesticides (SUR).

Le règlement sur les statistiques agricoles est censé représenter un outil décisif pour parvenir à la réduction de l’utilisation des pesticides. Sans surprise, les deux propositions font l’objet de débats passionnés entre activistes environnementalistes, des lobbyistes, des agriculteurs et des gouvernements.

« C’est vraiment la clé de voûte pour soutenir toutes les étapes à venir, vous pourrez toujours parler de réduire les pesticides, les engrais, vous pourrez toujours parler du bio, s’il n’y a aucune donnée pour documenter tout cela, rien ne bougera », a expliqué Petros Kokkalis, député européen pour le parti de gauche grec, qui a dirigé la rédaction de la proposition de texte au Parlement européen.

Ce qui est crucial, c’est de savoir à partir de quand et à quelle fréquence ces données sont relevées.

Dans sa proposition, l’année dernière, la Commission a indiqué qu’elles devraient être relevées tous les ans dès 2025. Mais dans le Conseil a proposé au contraire que les États membres ne les relèvent que tous les cinq ans. Il a également retiré l’obligation imposée aux agriculteurs de transmettre directement les données apr voie électronique.

Les gouvernements qui ont poussé dans cette direction sont ceux d’Autriche, de République Tchèque, de Danemark, d’Allemagne, de Hongrie, d’Irlande, des Pays-Bas, de Pologne, de Slovénie et d’Espagne. Une information révélée par le réseau d’ONG Pesticide Action (PAN) et de l’association Friends of the Earth qui a analysé les déclarations des gouvernements lors des négociations au Conseil.

Selon le réseau PAN, le gouvernements « a tellement dilué la proposition SAIO que l’objectif de la réduction de 50%, rendu impossible à mesurer, n’a donc plus aucun intérêt ». La version finale trouvée par les trois organes législatifs européens se rapproche de la position du Parlement européen : un relevé annuel et un système standardisé par voie électronique.

Cependant, ce système ne commencerait qu’en 2028, soit deux ans avant la date butoir pour la réduction de 50% des pesticides imposée aux agriculteurs.

Une fois mise en place, la régulation des statistiques européennes fera le pont entre deux lois européennes. Les agriculteurs doivent d’ores et déjà tenir les registres sur les pesticides (les noms des produits, les dates, les doses, les zones concernées et les plantes) sur trois ans, mais ne les transmettent aux autorités que lorsqu’on les leur demande. Les données peuvent être transmises sous n’importe quelle forme : un tableur excel, un cahier ou même une feuille volante. Les registres ne sont souvent collectés que sporadiquement auprès d’un échantillon de fermes censées représenter l’usage des pesticides général auprès des autorités.

Quand elles les collectent, les autorités sont obligées par une autre loi européenne, de les partager avec Eurostat, l’agence de statistiques européennes.

De fait, les statistiques européennes sont sporadiques, car chaque État membre choisi de mettre le doigt sur telle ou telle année, sur telle ou telle culture. « Sans réelle harmonisation, Eurostat n’est pas en mesure de fournir de données significatives », peut on lire dans rapport de 2019.

Avec le nouveau texte, les données devraient désormais être récupérées par les autorités nationales tous les ans, numériquement et dans un format standard, et partagé au niveau européen.

« Les données sont là, mais elles ne sont pas homogènes, elles diffèrent d’un pays à l’autre, et ne sont donc pas publiables. Nous concentrons nos efforts pour harmoniser la récupération des données », a expliqué le député Petros Kokkalis.

Le principal argument contre ces nouvelles règles, c’est qu’elles pourraient plomber le budget des agriculteurs.

« Il est important de collecter des données similaires, pour éviter toute charge administrative. La plupart des exploitations sont des micro entreprises, pas mêmes des PME, ces relevés pourraient leur prendre beaucoup de temps », a expliqué Pekka Pesonen, secrétaire général du lobby agricole européen Copa-Cogeca.

Certains agriculteurs se méfient aussi de la confidentialité des données de leurs exploitations, craignant les conséquences sur le voisinage, a expliqué Pekka Pesonen.

D’autres s’inquiètent de ce que les exigences des futurs objectifs de réduction des pesticides viennent réduire leur compétitivité, face à leurs confrères extra-européens.

Le producteur de tomates Ildefonso Cabanillas Corchado, qui vit en Extramadure, la région espagnole qui jouxte le Portugal, tient déjà des registres. Il doit déjà identifier les produits chimiques qu’il utilise. Selon lui il s’agit là de règles injustes pour les agriculteurs européens.

« Elle est où est la traçabilité des pastèques du Maroc ? Sont-ils autant contrôlés que nous ? Ce qui est sûr, c’est que les pastèques du Maroc sont 5 centimes moins chères que celles que je fais venir de Séville », ajoute l’agriculteur.

Le compromis européen sur les statistiques devrait être approuvé formellement par le Parlement européen en novembre prochain. La date de son approbation au Conseil n’est pas encore fixée. Quand les deux institution l’auront approuvée, alors la proposition deviendra une loi.