Pollinisateurs artificiels : la technologie au secours de la crise de la biodiversité ?

Credit: University of Stirling
A robot prototype created by university researchers that can reproduce the buzz of pollinating bees.

“Les pommiers commençaient tout juste leur floraison, mais les abeilles n’étaient pas là », écrivait Rachel Carson, il y a 60 ans, dans le premier chapitre de sa dystopie Silent Spring. Elle imaginait une ville sans oiseaux, sans insectes, sans fleurs, uniquement peuplée de maladie et de mort. La raison ? Toute la biodiversité avait été anéantie par les pesticides. Alors pour remplacer les abeilles, pourquoi ne pas disséminer des centaines de petits drones, armés d’intelligence artificielle afin de polliniser les pommiers ?

L’autrice, célébrée pour sa défense de l’environnement, a vu sa prédiction réalisée : une crise climatique dopée aux pesticides, où les insectes pollinisateurs ne butinent plus nulle part, est de plus en plus réaliste. La technologie pourra-t-elle venir contrecarrer cette crise de la biodiversité ?

Une fois de temps en temps, les appels de Une promettent l’arrivée des abeilles-robots, promettant un avenir dystopique où les drones – et non les abeilles – butineraient de fleurs en fleurs. En 2018, l’Université de Virginie occidentale a développé la BrambleBee, un bras robotique qui pollinise les plantations. Une société technologique israélienne, Arugga, soutient être la première à avoir commercialisé un robot capable de reproduire les effets d’une pollinisation naturelle, dans des serres de tomates. « Polly », qui n’a rien à voir avec une abeille, a été installée en Finlande, où l’hiver les longues journées nocturnes imposent une pollinisation manuelle. Le robot tiendra désormais ce rôle, et pourra aussi collecter des données sur la bonne santé des plants, ce qui permettra aux axploitant.e.s de prendre les bonnes décisions sur les traitements à apporter.

Exemple plus récent : l’université de Stirling, en Écosse, et l’Université du Massachusetts ont ensemble reçu des fonds pour construire de minuscules robots capables de reproduire les butinages des abeilles. Dr. Mario Vallejo-Marin, professeur associé de sciences biologiques et environnementales à l’Université de Stirling, nous a expliqué que le but du projet n’était pas de remplacer les pollinisateurs naturels. « Nous ne cherchons pas à trouver un moyen de faire ce que des milliers d’espèces d’abeilles font pour notre planète ». Le principe est plutôt de « comprendre pourquoi il est capital de conserver toutes ces espèces d’insectes ».


Credit: Arugga
Un prototype du robot de Pollinisation « Poly » construit par la société israélienne Arugga

La situation de conservation des abeilles est de plus en plus préoccupante. Près de 3/4 des plantations essentielles pour l’alimentation de la population mondiale dépend d’elles, selon les Nations Unies. Mais leur population descend en flèches à mesure que l’agriculture à l’échelle industrielle prend de la place, et que l’usage des pesticides continue. Les apiculteur.trices ont tiré la sonnette d’alarme : le nombre de colonies ne cesse de s’effondrer depuis plus de 15 ans, des expert.e.s ont même estimé que près d’une espèce sur dix est menacée d’extinction en Europe.

Dave Goulson, professeur de biologie à l’Université du Sussex, est du même avis que le Dr. Mario Vallejo-Marin : les robots abeilles ne se substitueront jamais aux insectes. « Les abeilles sont très bonnes pour polliniser, elles le font depuis 120 millions d’années », dit-il. « Donc comment est-ce même envisageable de penser qu’on pourrait faire mieux en construisant de petits robots ? C’est n’importe quoi. Mais certain.e.s envisagent cette absurdité comme une option possible. »

Hors plantations, toutes les plantes ne bénéficieraient pas de cette pollinisation artificielle, ajoute-t-il, alors que le plus gros travail des insectes n’est pas la pollinisation, non, mais le recyclage. Ils revalorisent toutes sortes de matériaux, chose que les robots ne feraient pas, affirme Dave Goulson.

Des milliards de pollinisateurs artificiels seraient nécessaires pour remplacer les insectes, selon Alan Dorin de l’Université Monash en Australie, ce qui rend tout le processus irréaliste et économiquement impossible pour la majorité des agriculteur.trices. Les pollinisateurs artificiels, leur fabrication et leur mise au rebut, sont dommageables pour l’environnement explique-t-il, et ils représentent un risque pour la vie sauvage.

Aider sans se substituer

Ce n’est pas demain que les pollinisateurs artificiels butineront dans les champs, mais avec un marché mondial de la robotique agricole qui pourrait bien valoir plus de 20 milliards de dollars d’ici 2025, les robots agricoles sont prêts à décoller.

La société britannique Small Robot Company (SRC) espère que les agriculteur.trices utiliseront l’intelligence artificielle et les robots pour travailler avec l’environnement et perfectionner leurs productions. Ils espèrent remplacer les tracteurs par des robots plus légers et respectueux de l’environnements ce qui permettrait aux exploitant.e.s de réduire leurs dépenses et leurs consommations en herbicides et en engrais.

Pour l’heure, ils disposent de trois types de robots : Tom, Dick et Harry. Ils peuvent surveiller, traiter et planter les cultures de façon autonome. Tom, par exemple, peut scanner les champs et dessiner une carte des différentes plantations avec leurs besoins spécifiques. Ces données nourrissent un modèle d’intelligence artificielle qui créé une carte de traitements apportant aux exploitant.e.s des conseils sur les actions à mener.


Credit: SRC
Tom, le petit robot de la société britannique Small Robot Company.

SRC explique que l’utilisation des herbicides peut être réduite de près de 80% avec cette technologie et s’apprête à déployer ses produits dans 50 fermes britannique d’ici la fin de l’année. En 2019, une campagne de crowdfunding a permis la levée de 1 millions de livres sterling. La plus grande partie des contributions proviendraient des exploitant.e.s assure la société qui y voit la confirmation d’un soutien grandissant à l’égard de ces technologies. Tom Jewers a été séduit par l’idée de réduire sa consommation de produits chimiques dans sa ferme du Suffolk. « La possibilité de traiter individuellement les plantations est vraiment une révolution », a-t-il dit à l’hebdomadaire Farmers Weekly.

Alors que les prix augmentent un peu partout dans le monde, les motivations des agriculteur.trices britanniques et européens pour réduire leur consommation sont à la fois économiques et environnementales. « Le prix des intrants augmente, les fermier.e.s et les cultivateur.trices veulent réduire leur dépendance à toute une gamme de produits, dont les pesticides », nous a certifié par mail le Dr Dawn Teverson, du groupe Linking Environment And Farming (LEAF), très proche de l’agro-industrie.

Faire des expériences en matière de techniques agronomiques est une tradition vieille de plusieurs siècles. En 1843, c’est grâce à l’Institut de recherche Rothamsted Research, l’un des plus vieux centres de recherches agronomiques au monde, que furent plantées les premières graines du blé que nous consommons aujourd’hui furent plantées dans un champs de Broadbalk dans le comté de l’Hertfordshire en Angleterre. Ces semences allaient devenir une légende dans les expériences à long terme de l’Institut, les jalons de l’agriculture scientifique moderne qui établirait les principes des grandes cultures céréalières.

L’expérience Boradbalk est toujours en cours et permet aux scientifiques de comprendre en quoi les engrais peuvent améliorer ou non les rendements. Voilà comment la science est utilisée pour améliorer la production d’aliments. Dr Kevin King, le phytopathologiste de l’institut Rothamsted travaille à développer des systèmes avancés pour détecter les champignons pathogènes et empêcher « une dépense inutile de fongicides ».


Credit: Juliet Ferguson
Les premières plantations de blé moderne furent plantés dans un champs de Broadbalk en 1843

Les champignons pathogènes peuvent faire des ravages sur les cultures. Kevin King et ses collègues développent un système d’analyse de l’air ambiant pour mesurer la quantité de spores. Cela pourra leur permettre de comprendre comment les champignons fonctionnent, afin de trouver la meilleure manière de les contrôler. Ils relaient ensuite l’information aux agriculteur.trices ou aux cultivateur.trices « afin qu’ils et elles sachent exactement ce qui se déroule dans leurs champs à un moment M », explique Kevin King. « Ensuite ils peuvent prendre des mesures préventives pour s’attaquer à la contamination ».

Credit: Juliet Ferguson
Piège à insectes à l’Institut Rothamsted , l’un des plus anciens centres de recherches agronomiques au Monde.

Dans tout le campus de l’institut Rothamsted, différents pièges à insectes sont installés, dans le cadre d’une étude coordonnée par le Dr James Bell. Le travail de son équipe a pris racine dans une étude commencée en 1964. Ils et elles utilisent deux types de pièges ; l’un fait 12,2 mètres de haut et permet d’avoir une vision des insectes présents à cette altitude, les plus courts donnent une vision de ce qui se passe au sol. Comme pour l’étude sur les spores, ces pièges furent aussi utilisés pour comprendre la menace que représentent les insectes et alerter régulièrement les agriculteur.trices. Dès l’origine, même pendant les années 1960 où l’on répandait des produits chimiques à foison, ces expériences pouvaient permettre de réduire l’usage des pesticides.

« Nous pensions en 1964 que si nous communiquions les agriculteur.trices, nous pourrions vraiment changer leurs habitudes, c’est ce que nous faisons aujourd’hui avec les prévisions et les données collectées sur le terrain », explique James Bell.

Mais changer d’habitude n’est pas chose aisée. Notre dernière enquête s’intéresse au problème des pesticides en Europe et la résistance de certain.e.s agriculteur.trices à réduire leur consommation, de l’industrie à changer de modèle et la résistance des politiques, qui rechignent à soutenir des lois sur la réduction des pesticides et la collecte de données. Pendant ce temps là, l’association caritative Food Watch a récemment fait la démonstration que l’utilisation des pesticides fragilise le système de production agricole, rendant les agriculteur.trices dépendant.e.s des produits chimiques.

Le système agricole que nous connaissons aujourd’hui ne menace pas seulement la biodiversité des plantes, des insectes et des oiseaux. Les agriculteur.trices aussi, sont menacé.e.s, considèrent les opposant.e.s au système.

« Il y a de moins en moins d’agriculteur.trices. Ils et elles font de moins en moins de profits », estime le député européen écologiste Bas Eickhout. « Nos terres rurales sont menacées. Et en prime, nous nous rendons compte que le changement climatique aussi commence à les affecter. On voit de nos propres yeux que la biodiversité disparaît. »

La technologie aura sans doute un rôle à jouer pour aider les agriculteur.trices à échapper à ce cercle vicieux, mais ce n’est qu’une goutte d’eau dans un océan. Il faut changer le système et non se suppléer à ce que la nature fait depuis des millions d’années. Gratuitement en plus.