La mise en place de la parité obligatoire dans les conseils d’administration européens, bloquée par l’Allemagne

La directive européenne tenant à « améliorer la parité dans les conseils d’administration des sociétés cotées en bourse », c’était le grand projet de l’ex Commissaire européenne Viviane Reding. Elle voulait obliger les plus grosses compagnies européennes à augmenter la part de femmes dans les CA à hauteur de 40% dès 2012. Cette proposition avait été largement approuvée au Parlement européen. Au Conseil de l’UE, où siègent les gouvernements des États membres, l’initiative a été bloquée par une minorité, principalement constituée de conservateurs, de populistes, d’euro-sceptiques de l’Est, de pays scandinaves… et de l’Allemagne. Cette opposition représentait à elle seule 36% de la population européenne… un pourcentage suffisant pour bloquer le passage d’une directive européenne.

Sans les Allemand.e.s, ç’eut été une autre histoire. Mais jusqu’à la fin, la majorité CDU/CSU a forcé l’ancienne Ministre des droits des femmes, Franziska Giffey (du SPD), à s’opposer au texte en prétextant « des réserves sur sa base juridique » et, comme nous l’avons découvert, de refuser son approbation au Conseil de l’UE.

Cette alliance pour le blocage semble avoir pris un coup dans l’aile, avec le départ des Conservateurs du gouvernement allemand. Et le Président Macron a bien envie de remettre les quotas dans l’agenda européen : la nouvelle Présidence au Conseil de l’UE pourrait bénéficier politiquement d’un tel renversement de situation. « Ce projet de loi est resté dans les tiroirs pendant des années. Je crois qu’il est enfin temps de l’en sortir », a-t-il dit en présentant ses ambitions pour ce mandat. Un nouveau vote est donc déjà programmé pour le Conseil des ministres du 14 mars prochain.

Mais l’optimisme de Macron est bien prématuré. Comme plusieurs diplomates de Bruxelles l’ont confirmé à Investigate Europe, l’Allemagne n’a toujours pas cédé. La nouvelle Ministre des droits des femmes, l’écologiste Anne Spiegel nous a assuré pourtant qu’elle était « très heureuse de savoir que le Président Français voulait pousser à l’adoption de directive. » Les sociaux-démocrates n’ont pas non plus changé leur position en faveur du texte, confirme la porte-parole du groupe parlementaire, la députée Leni Breymeier.

Mais le parti libéral-démocrate FDP est bien plus réservé. « [Mon parti] a toujours rejeté le principe même de quotas », confirme Nicole Schäfer, la porte-parole des libéraux concernant les droits des femmes, au Bundestag. « Notre choix quand à cette proposition de directive n’est pas très claire », a-t-elle affirmé avant d’ajouter qu’elle n’était donc « pas encore en mesure de faire de commentaire ».

Résultat : le gouvernement allemand n’est pas apte à aborder le sujet. « Nous n’avons pas encore reçu de signal clair de Berlin », regrette l’un des diplomates impliqué. Interrogé, un porte-parole du gouvernement allemand est tout juste parvenu à expliquer que la proposition de directive européenne – connue comme le loup blanc – était « actuellement examinée par les Ministères et qu’une position commune du gouvernement fédéral était actuellement trouvée ». Cependant, il n’a pas tenu à dire qui devrait déterminer la position allemande au Conseil et sous quels délais.

Les libéraux craignent que la directive européenne prennent les compagnies allemandes à la gorge. Une crainte « totalement infondée », explique la sociale-démocrate autrichienne Evelyn Regner, rapporteure au Parlement européen, qui se bat au Conseil contre ce blocage depuis 10 ans. De fait, depuis 2016, l’Allemagne a instauré des quotas réglementaires de 30% de femmes dans les comités de surveillance de 105 compagnies. Un pari gagnant : actuellement, près de 32% de membres des conseils d’administrations des plus grosses sociétés allemandes sont des femmes. Et le Parlement européen a décidé depuis longtemps que les pays qui avaient fait une partie du chemin vers la parité en mettant en place leurs propres quotas n’avaient pas à atteindre l’objectif de 40%. « L’adoption du texte ne changerait donc rien pour l’Allemagne », assure Evelyn Regner. Tout changerait, par contre, pour les 20 pays qui n’ont rien mis en place. Il a déjà été constaté que les compagnies avec plus de femmes manager ont plus de succès, économiquement, ajoute-t-elle.

Cette impasse germanique est devenue un combat pour la Présidente de la Commission européenne. Ursula von der Leyen s’est déjà trouvée impliquée dans le blocage de cette directive à l’époque où elle était Ministre du travail au gouvernement Merkel. Rétrospectivement, elle considère que c’était une erreur. « J’ai appris que pour obtenir un seuil critique de femmes dans les conseils d’administration, un cadre légal était obligatoire pour pousser les sociétés dans la bonne direction », a expliqué la Présidente au Financial Times. « Si on regarde la situation générale en Europe et les défis qui nous attendent, nous avons besoin de réunir tous les talents et donc, nous avons besoin d’ouvrir les postes de direction aux femmes », a-t-elle ajouté.

Dans ce contexte, on peut se demander si les libéraux allemands garderont le cap. S’ils s’entêtent, cela serait particulièrement embarrassant pour leurs alliés au Parlement européen. Ils appartiennent en effet au même groupe que LREM, le parti du Président Macron.