En Europe, une nouvelle bataille pour la réduction des pesticides commence

Credit: Alexia Barakou

​« La France est le premier consommateur de pesticides de synthèse en Europe », c’est le constat de Foodwatchdans un rapport exclusif obtenu par Investigate Europe. L’ONG, qui se base sur des données publiques sur la période 2011-2020, a calculé qu’en moyenne 67 000 tonnes de matières actives ont été vendues dans l’hexagone chaque année. Au premier rang desquels les herbicides dont les producteurs se taillent la part du lion, puis les fongicides de synthèse. 

Grâce aux données rendues publiques par la France, Foodwatch a calculé « la charge toxique » française des pesticides. En dépit des annonces gouvernementales successives de la dernière décennie, celle-ci stagne au même niveau élevé entre 2008 et 2017. 


Charge toxique due aux produits phytosanitaires en France / (c) Rapport Foodwatch

Les pommes, les pêches, les vignes et les pommes de terre françaises ont le taux de traitement aux pesticides le plus élevé. Mais la quasi-totalité des cultures étudiées dans l’hexagone (bananes, cerises, abricots, prunes, maïs, triticale, betterave à sucre, orge, féveroles, fibre de lin, légumineuses protéinées, blé, colza, pomme de terre) reçoit au moins deux applications d’herbicides. 

Malgré la mise en place du plan « Ecophyto » en 2008, qui visait à atteindre une réduction de 50 % d’ici 2018, les ventes de produits phytosanitaires n’ont cessé d’augmenter « dans la plupart des départements français et dans des cultures importantes, telles que le raisin de cuve, le blé tendre, l’orge et le colza ». Il y a cinq ans, constatant l’échec du plan poindre à l’horizon, le ministère de l’Agriculture de Stephane Le Foll a repoussé l’objectif à 2025. Mais à trois ans de la date butoir, la France, avec son « important territoire agricole et sa viticulture intensive » reste en tête, devant les Pays-Bas et l’Allemagne. 

« La France a complètement échoué à atteindre l’objectif annoncé d’une réduction des pesticides »,commente le directeur stratégique de Foodwatch. Interrogé par IE, Matthias Wolfschmidt monte au créneau : « des objectifs sans mesures appropriées ne sont que de la pseudo-politique aux dépens de nous tous et des générations futures ». Il faut dire que le constat de l’ONG sur la consommation de produits phytosanitaires dans l’UE est alarmant. 


Fréquence des traitements par espèces / (c) Foodwatch

La consommation de pesticides stagne ou augmente dans toute l’Europe

Le système agricole européen est « enfermé » dans sa dépendance aux pesticides, tranche l’ONG. Dans toute l’UE, à l’exception du Danemark, « la consommation des pesticides a augmenté ou stagné ». Le prix de cette consommation intensive se paye au prix fort, rappelle l’ONG : maladies chroniques, transferts des résidus à l’alimentation, mais aussi contamination de l’eau. « Près de 80 % des masses d’eau souterraine sont contaminés par les pesticides au Luxembourg, 50 % en République tchèque, 24 % en Belgique et 17 % en France ».  

Et ce n’est pas près de s’arrêter. Dans l’Union européenne, 400 substances actives de pesticides sont actuellement autorisées. Aujourd’hui, plus de 400 substances actives de pesticides différentes sont approuvées dans l’UE et le marché européen des pesticides agricoles est l’un des plus importants au monde, avec des ventes d’environ 12 milliards d’euros en 2019.

Et pourtant, le débat sur l’usage des pesticides et leurs conséquences sur la santé et la biodiversité n’est pas nouveau en Europe. Depuis plus d’une décennie, c’est un véritable bras de fer qui oppose d’un côté des États membres lestés par de puissants lobbys nationaux et une Commission européenne qui ferme les yeux et, de l’autre, un Parlement européen parfois volontaire, mais impuissant dans la mise en œuvre de ses ambitions.

La Commission européenne passe à la vitesse supérieure

Retour en 2009. Le Parlement européen et le Conseil de l’UE, qui regroupe les pays de l’UE, adoptent la directive sur l’utilisation durable des pesticides. L’intention initiale est louable : encourager le recours à des méthodes ou des techniques de substitution aux pesticides, qui soient non chimiques. Toutefois, le Parlement européen renonce à fixer un objectif contraignant de réduction de 50 %, laissant ainsi les mains libres aux États membres, dans l’espoir de sceller un compromis politique avec un Conseil peu flexible. 

Sans surprise, les résultats s’avèrent vite décevants. Les rapports sur la mise en œuvre de la directive de 2017 puis de 2020 font état de piètres résultats. Selon la Commission, la mise en application du texte par les États membres n’est pas suffisamment « rigoureuse », les États membres trainent des pieds pour présenter leur plan d’action et les mettre à jour.

Mais l’institution n’a pas dit son dernier mot. En mai 2020, dans le sillon du Pacte vert – la feuille de route de la commission pour atteindre la neutralité climatique en 2050 -, la Commission présente deux grandes stratégies :  la stratégie sur la protection de la biodiversité et celle dite de la « Ferme à la Fourchette » (‘Farm to Fork’), dont l’un des grands objectifs est de réduire de 50 % l’utilisation globale et les risques des pesticides chimiques d’ici 2030. Pour ce faire, elle envisage pour le premier semestre 2022 une « proposition de révision de la directive SUD » (SUD, Sustainable Use of Pesticide Directive). 

L’objectif est clair, comme l’explique à Investigate Europe, le vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, responsable de la mise en place du Pacte vert. « Nous avons besoin d’objectifs contraignants parce que nous avons essayé auparavant avec des objectifs non contraignants, et cela ne nous a menés nulle part. Les objectifs contraignants donnent des certitudes à l’industrie et au secteur agricole. Et d’ailleurs, nos citoyens nous poussent à le faire ».

Mais les lobbys européens, dont le très puissant Copa-Cogeca, ne l’entendent pas de cette oreille et sont vent debout contre le texte. Selon Corporate Europe Observatory, l’ONG spécialisée des lobbys de l’UE, des présidents d’organisations agricoles nationales associés au Copa-Cogeca font savoir dès février 2020 que les objectifs du Pacte vert sont trop élevés et qu’ils « pousseront les agriculteurs à la faillite ».

Au sein même de la Commission européenne, les nouvelles ambitions affichées semblent également critiquées. Dans un document interne de juin 2020, révélé par les journalistes de Follow the Money, Tassos Haniotis, haut fonctionnaire de la direction générale de la commission Agriculture et développement rural, juge que les objectifs d’augmentation de la production biologique sont« excessifs » et que « la réduction du volume ou de la valeur d’un large ensemble de substances très diverses est, du point de vue de la santé publique, dénuée de sens ».



Une France ambitieuse ?

Le décor est posé du côté de l’exécutif européen. Mais quid du Conseil ? Parmi les États membres, un pays se démarque rapidement par son soutien au projet : la France. En juillet 2020, lors d’un Conseil ‘Agriculture et Pêche’ (AgriFish), qui regroupe les ministres chargés de l’Agriculture des États membres, la France se montre étonnamment très allante par la voix de son ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie.

« La France partage les objectifs de cette stratégie, déclare-t-il, avant de mettre en exergue la nécessité d’introduire « des évolutions législatives (…) nécessaires pour atteindre les objectifs et harmoniser les conditions de production ». Et d’ajouter : « c’est particulièrement vrai pour la révision du paquet ‘pesticides’ qui doit intervenir rapidement ». La position française est ainsi saluée par PAN Europe, une ONG engagée dans la lutte contre les pesticides, notant que Paris « est la seule à avoir proposé l’inclusion d’un objectif de réduction dans la révision de la directive SUD ».

Quasiment une année plus tard, en septembre 2021 lors du World Conservation Congress, Emmanuel Macron plaide encore pour « construire un chemin tous ensemble pour protéger (les) sols » et sortir de la dépendance aux pesticides. Rebelote, quatre mois plus tard, le président de la République indique que parmi les priorités de la présidence française du Conseil de l’UE figure « l’interdiction des pesticides ». 

Tous les voyants sont au vert. La Commission européenne entend présenter la révision de la directive sur les pesticides durables le 23 mars. Malheureusement, cette dynamique favorable est stoppée par un évènement géopolitique majeur : l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février.

Le tournant de la guerre en Ukraine et la menace d’une famine 

Très vite le conflit met en lumière combien l’Ukraine reste un des grands « greniers » de l’Europe. Le pays est ainsi le principal fournisseur de maïs (en moyenne 9,2 millions de tonnes, soit 57 % des livraisons), de colza (2 millions de tonnes, soit 42 % des importations européennes en volume), de graines de tournesol (0,1 million de tonnes, soit 15 %) et de tourteaux de tournesol (1,3 million de tonnes, soit 47 % des importations) et, dans une moindre mesure, de blé (1 million de tonnes, soit 30 % des importations)

La guerre vient plomber des marchés agricoles mondiaux déjà sous tension, en partie en raison des effets de la crise climatique, mais aussi de l’incidence de la pandémie, couplée à une hausse drastique des prix de l’énergie. 

L’opportunité est trop belle :les lobbys agricoles s’infiltrent dans la brèche ouverte par le conflit russo-ukrainien. Agitant la menace d’une crise alimentaire sans précédent, ils espèrent torpiller les nouvelles ambitions de la Commission européenne, mais aussi remettre en cause des acquis comme la mise en jachère de 4 % des terres arables actée pour 2023.

« Il y a des campagnes extrêmement violentes contre ‘Farm to Fork’ de la part des lobbys agricoles », confirme à Investigate Europe Ariel Brunner, responsable de la politique européenne de l’ONG Bird Life International. « Ils veulent conserver le modèle actuel et, en ce moment, ils abusent honteusement de la tragédie en Ukraine pour pousser l’argument de la sécurité alimentaire et leur logique productiviste des années 1950. Ils essaient de mettre la réforme au rebut et de cultiver chaque bande de nature que nous avons encore », poursuit-il. 

Il n’aura pas fallu deux semaines au Copa-Cogeca pour se mettre en ordre de bataille. Le 3 mars, sa présidente, Christiane Lambert, qui est par ailleurs à la tête de la FNSEA, la Fédération des syndicats d’exploitants agricoles, se fend d’un Tweet : « il y a urgence (…) nous demandons à semer plus cette année ». 

La FNSEA de son côté demande la remise en cause de l’objectif de 4 % de terres en jachère. Au passage, la fédération en profite pour dénoncer « la logique de décroissance souhaitée par la stratégie européenne ‘Farm to Fork’ ».  



Conflit au sein la Commission européenne

Du côté du Conseil, le vent tourne. Le 2 mars, une réunion virtuelle des ministres de l’UE chargés de l’agriculture est organisée en urgence. Durant le point presse, Julien Denormandie, estime que la guerre russe en Ukraine aura des conséquences sur la sécurité alimentaire en Europe et dans d’autres régions du monde. 

Selon lui, l’Europe se doit de couvrir ses besoins propres et ceux du reste du monde. « Il faut tout faire pour libérer le potentiel de production dès maintenant », lance-t-il. Le commissaire polonais responsable de l’Agriculture, Janusz Wojciechowski, se dit en faveur d’utiliser les terres mises en jachère. 

Mais la Commission européenne ne semble pas plier. Au cours du mois de mars, deux projets de la révision de la directive fuitent dans la presse successivement. Leur contenu affolent certains corps diplomatiques. L’institution européenne, qui a opté pour un règlement, l’acte législatif le plus contraignant de l’UE, durcit en outre le texte et les objectifs dérogatoires, et inscrit dans le corps du texte l’objectif de réserver 25 % des terres arables à l’agriculture biologique. Une première.

Le 16 mars, 12 États membres (principalement d’Europe centrale et orientale) expriment dans un document leurs préoccupations concernant le projet. « Parmi les trois scénarios possibles, il a été décidé de choisir le plus restrictif, à savoir des objectifs de réduction de 50 % de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et des risques connexes, qui seraient contraignants tant pour l’Union européenne que pour les États membres » disent-ils. 

Le vrai coup de semonce est tiré par Paris. Le 16 mars, Emmanuel Macron, alors candidat à l’élection présidentielle, déclare : « La France portera une adaptation de la stratégie européenne “Farm to Fork” qui reposait sur un monde d’avant-guerre en Ukraine, qui prévoyait une diminution de la production de 13 %. Ces objectifs doivent être revus, car, en aucun cas, l’Europe ne peut se permettre de produire moins ». 

Un report aux motivations troubles

Le 21 mars, le couperet tombe : La présentation de la proposition de révision de la directive SUD est reportée ainsi que l’initiative sur la biodiversité. 

La France ne serait pas étrangère à la décision, d’après l’eurodéputé vert, Benoit Biteau : « Évidemment que la France a fait pression ! Ils ont profité de cette fenêtre où la France est présidente du Conseil de l’UE pour mettre la pression sur la Commission pour le reporter! », s’emporte-t-il, estimant qu’il s’agissait d’une manœuvre pour tenter d’affaiblir le texte. 

De son côté l’eurodéputé vert allemand, Martin Häusling, croit savoir que ce serait la campagne électorale française, qui opposait alors le candidat Macron, a sa principale rivale, Marine Le Pen, virulente opposante au projet ‘Farm to Fork’, qui aurait fait revoir sa copie au président. 

Mais les nombreuses sources européennes interrogées par IE ne s’accordent pas sur le sujet. Pour deux autres sources qui ont parlé sous le couvert de l’anonymat à IE, l’objectif de ce report était simplement de libérer l’ordre du jour pour répondre à l’urgence posée par l’invasion russe en Ukraine. 

Pascal Canfin, président de la commission ‘Environnement’ du parlement européen et eurodéputé de Renew Europe, la famille politique d’Emmanuel Macron, affirme de son côté que ce sont les tensions en interne de la Commission qui sont à l’origine de ce report. 

Des tensions auraient en effet opposé les directions générales de l’Environnement et celle de la Santé et de la Sécurité alimentaire à la direction générale Agriculture et Développement rural. Au final, la décision aurait été tranchée au plus haut niveau par le cabinet de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. 

Résultat : pas de révision, mais… la présentation d’une « communication » sur la sécurité alimentaire face aux conséquences de la guerre.

Bras de fer au sommet 

La présentation du texte est désormais fixée au 22 juin. Mais rien n’est joué. Rapidement les rumeurs d’un nouveau report circulent dans la bulle bruxelloise. Dans une lettre ouverte, 53 ONG interpellent la commission pour qu’elle maintienne la nouvelle échéance et le niveau des ambitions. 

Début juin, ce sont 10 États membres qui reviennent à la charge dans un document commun demandant de ne pas imposer des objectifs contraignants indiquant que l’agression russe contre l’Ukraine « exacerbe les défis qui pèsent sur la sécurité alimentaire et la compétitivité de la productivité agricole de l’UE ». 

Le 13 juin, lors du Conseil AgriFish, un grand nombre d’États membres conteste encore l’approche des objectifs contraignants et réclame des flexibilités. Stella Kyriakides, la commissaire à la Santé chargée de la révision de la directive SUD, assure que la situation des États membres sera prise en compte.

Fait exceptionnel, les pourparlers au sein de la Commission européenne se poursuivent jusqu’au mardi 21 juin, la veille de la présentation du texte. Jusqu’au dernier moment, les cabinets bataillent notamment sur l’ampleur des dérogations qu’ils pourraient obtenir sur la réduction des pesticides. 

Finalement le 22 juin, la Commission européenne présente un texte qui propose de réduire de 50 % l’utilisation et les risques liés aux pesticides chimiques d’ici à 2030. Malgré l’insistance de nombreux États membres, la Commission maintient les objectifs contraignants pour les États membres pour permettre à l’UE d’atteindre son objectif de réduction. 

Toutefois, d’importantes concessions sont faites. L’institution européenne introduit une approche graduelle en fonction de la situation des États membres en fonction de l’intensité d’utilisation des pesticides. L’objectif de réduction national ne peut en aucun cas être inférieur à 35%. À l’inverse, les États membres qui présentent une utilisation des pesticides supérieure à la moyenne européenne devront, selon les cas, devront réduire jusqu’à 65 % l’utilisation des pesticides d’ici à 2030.

Interrogée par IE, en conférence de presse, la commissaire Kyriakides s’en explique : « nous voulions donner aux États membres une certaine souplesse dans la prise en compte de leur situation nationale. Je pense qu’il s’agit d’un message important indiquant qu’il ne s’agit pas d’une proposition à taille unique et qu’elle ne peut pas être une proposition à taille unique. Ainsi, dans ce sens, les États membres sont en mesure d’ajuster leurs objectifs en fonction de leurs points de départ actuels ». Autrement dit, ces marges de flexibilité visent à faciliter l’adoption du texte au Conseil des ministres de l’Agriculture européenne, ce que nous confirme une source européenne.

Vers des négociations tumultueuses

Après de multiples rebondissements, le texte est désormais sur la table. Mais les négociations avant l’adoption finale s’annoncent houleuses. Au Conseil de l’UE, une minorité de blocage, c’est -à-dire quand une coalition d’États membres représentants au moins 35% de la population européenne s’oppose à un texte en discussion, n’est pas exclue. Une quinzaine d’entre eux ont déjà exprimé de fortes préoccupations sur le texte.

La France, elle, botte en touche. Au téléphone, le cabinet du ministre de l’Agriculture nous fait savoir qu’en raison de la présidence française au Conseil, elle ne peut se prononcer pour le moment en son nom. Le cabinet précisé que « la nouvelle donne prouvait qu’il y avait un besoin de produire, mais ce qu’a fait savoir le ministre précédent comme l’actuel, c’est que cette nouvelle donne avec ses enjeux de souveraineté alimentaire, ne remet pas en cause les objectifs verts qui sont clairement posés ».

Du côté du Parlement européen, les débats seront également difficiles. « Autant pour les autres sujets environnement, que ce soit que ce soit REpowerEU, le paquet climat, Fit for 55, on discute des paramètres. Autant sur le sujet de la transition agricole, on est sur un débat de principe. Un débat qui est de dire, faut-il ou non ces textes ? Et je suis certain qu’une partie de la droite va s’opposer de manière principielle à ces textes » confie Pascal Canfin, président de la puissante commission ‘Environnement’ du parlement européen.

Même analyse du côté de l’eurodéputé socialiste Éric Andrieu, rapporteur sur la nouvelle politique agricole commune 2021-2027. « Il ne faut pas oublier une chose : la Commission n’est pas majoritairement progressiste. Elle est majoritairement conservatrice et libérale. Le Conseil est majoritairement conservateur et libéral. Au Parlement européen, il n’y a pas de majorité des oppositions, mais globalement on voit bien – sauf le groupe Renew qui fait la balance quelquefois – on est plutôt sur une position conservatrice », estime-t-il, pessimiste. 

Une Commission européenne très opaque

Mais la Commission est-elle vraiment ce chevalier « sans peur et sans reproche » de la lutte contre les pesticides en Europe ? Quand on les interroge, certaines ONG grincent sur l’opacité de l’accès aux documents qui font état de plusieurs discussions de textes importants sur les pesticides. 

Au premier rang desquels Pollinis, l’ONG française qui se bat pour la protection des abeilles, actuellement en procès devant le tribunal administratif de l’Union européenne à Luxembourg contre la Commission européenne pour l’accès aux documents sur les tests sur les abeilles. Même blocage pour la fédération d’ONG écologistes espagnoles, Ecologistas en Acción, qui a saisi la médiatrice de l’Union européenne pour l’accès aux statistiques sur les composants des pesticides. 

De toute évidence les commissaires ont quelque chose à cacher concernant leurs débats internes relatifs aux pesticides. Investigate Europe a ainsi demandé l’accès aux échanges de mars 2022 concernant le projet de règlement SUR et s’est vu opposer une fin de non recevoir, en violation flagrante des règles de transparence de l’UE.

Interrogée par IE sur le manque de transparence de l’institution sur ce sujet d’intérêt public, la médiatrice européenne confirme. À l’en croire, les deux ONG, ne sont pas les seules à l’avoir saisie de ce problème d’opacité. « La médiatrice a reçu de nombreuses plaintes ses dernières années concernant le processus de validation des pesticides au niveau de l’UE et a fait plusieurs propositions pour en améliorer la transparence ». Des suggestions restées lettre morte ? « De manière générale, on constate que la Commission a souvent tendance à écarter trop rapidement l’intérêt public quand il s’agit de l’accès aux documents », rétorque sévère la médiatrice.



La société civile à la rescousse

Concernant le futur règlement SUR, tout porte à croire que les débats seront encore longs. L’espoir viendra-t-il de la société civile européenne, de plus en plus consciente du désastre écologique qui s’annonce ? 

En mars dernier, 1,2 million de citoyennes et citoyens ont signé une pétition appelant à la sortie totale des pesticides d’ici 2035, après avoir passé le cap des -80% en 2030. Ce dispositif appelé « Initiative citoyenne européenne » (ICE) permet, à condition d’atteindre le seuil d’un million de signatures, d’obtenir un positionnement clair de la Commission européenne. Comment s’expliquera-t-elle sur ces objectifs deux fois plus ambitieux que les siens ?

En attendant, l’horloge climatique tourne dangereusement. « Il y a 65 millions d’années, une météorite a annihilé les dinosaures. Depuis, l’extinction des espèces n’a jamais été aussi rapide qu’aujourd’hui », nous explique Dave Goulson, biologiste anglais de renommé international. « À l’heure même où nous parlons, une espèce est probablement en train de s’éteindre quelque part ».