Un scandale financier luxembourgeois menace Orpea

Orpea n’en a pas fini avec les affaires. Après les révélations du livre Les Fossoyeurs, du journaliste Victor Castanet, le leader mondial des maisons de retraite est menacé par un nouveau scandale, financier cette fois.

Depuis au moins treize ans, Orpea s’est appuyé, dans la plus grande discrétion, sur une société luxembourgeoise nommée Lipany. Laquelle a réalisé plusieurs opérations financières douteuses, et a récupéré, via sa quarantaine de filiales, 92 millions d’euros d’actifs dans quatre pays européens, dont la France. Il s’agit principalement de parts dans de nombreux Ehpad et cliniques gérés par Orpea.

Officiellement, cette société implantée dans un paradis fiscal est totalement indépendante d’Orpea. Elle appartient à Roberto Tribuno, un comptable et conseiller fiscal qui a été le patron d’Orpea en Italie.

Mais notre enquête montre que Lipany opérait en étroite coopération avec Orpea et son ancien directeur financier Sébastien Mesnard, devenu en décembre directeur des financements et de la comptabilité. Trois autres cadres et anciens cadres d’Orpea ont d’ailleurs occupé des fonctions ou effectué des missions pour des filiales de Lipany.



Notre enquête révèle aussi plusieurs opérations problématiques menées par des filiales de Lipany en lien avec Orpea. En Italie, deux structures ont été mises en cause dans des affaires d’évasion fiscale et de fraude aux financements publics. En France, Lipany a aidé Orpea à couvrir le versement d’une commission occulte de 700 000 euros à un intermédiaire, tandis que quatorze sociétés détenues par les deux groupes revendiquent dans leurs comptes officiels un avantage fiscal auquel elles n’ont pas droit.

Le groupe Orpea soupçonne lui-même que des opérations menées avec la société luxembourgeoise auraient servi à détourner de l’argent.

Interrogé en détail au sujet de Lipany le 29 avril, Orpea nous a répondu que « certains des faits » que nous lui avons soumis « sont effectivement susceptibles de poser question au regard de l’intérêt social du groupe », et ont fait l’objet d’une plainte pénale pour « abus de bien sociaux » adressée au procureur de Nanterre.

Des faits révélés par notre enquête sont inclus dans la plainte pénale déposée par Orpea.

Orpea a révélé ce dépôt de plainte le 2 mai, dans le communiqué annonçant la nomination de son nouveau directeur général, Laurent Guillot. Le groupe dit que les faits ont été découverts par les audits lancés fin janvier, après le départ de l’ancien patron Yves Le Masne à la suite du scandale provoqué par le livre Les Fossoyeurs.

Selon nos informations, la société luxembourgeoise Lipany et son propriétaire Roberto Tribuno sont mentionnés dans la plainte d’Orpea.

Interrogé, M. Tribuno répond qu’il n’a commis aucun acte répréhensible, et que ses sociétés « opèrent en pleine conformité » avec « la réglementation civile, comptable et fiscale applicable »« Toutes les opérations entre Lipany et le groupe Orpea ont toujours été réalisées après validation des organes compétents des deux groupes, qui ont toujours agi en toute connaissance de cause », ajoute-t-il.

Le champion français des cliniques et maisons de retraite a refusé de répondre à nos questions, au motif qu’il « réserve ses déclarations aux enquêteurs ». L’enquête n’a pas encore été ouverte, la plainte d’Orpea étant « actuellement à l’étude », indique le parquet de Nanterre, qui s’est refusé à tout autre commentaire.

Le groupe est déjà cerné par les procédures judiciaires, déclenchées par le livre de Victor Castanet et une précédente enquête. Depuis février, le parquet de Nanterre a ouvert des enquêtes préliminaires pour « maltraitance institutionnelle », « détournement de fonds publics », « faux et usages de faux et infraction à la législation sur le travail ». Le parquet enquête aussi sur les dizaines de plaintes déposées par des familles de résidents d’établissements Orpea.

Une société secrète au Luxembourg

Au cœur de la nouvelle affaire que nous révélons aujourd’hui, il y a donc la discrète holding luxembourgeoise, Lipany, créée en 2007. Ses premiers actionnaires étaient deux coquilles offshore nommées Bynex International, immatriculée aux îles Vierges britanniques, et Beston Enterprises, basée au Panama.

Ces sociétés-écrans, qui figurent dans les « Panama Papers », étaient contrôlées par un cabinet de domiciliation, qui les a utilisées pour dissimuler l’identité des propriétaires de nombreuses sociétés.

Beston et Bynex ayant été dissoutes, il est impossible de vérifier qui sont aujourd’hui les actionnaires de Lipany.

En 2019, lorsque le Luxembourg a obligé les sociétés à renseigner l’identité de leurs bénéficiaires réels, Roberto Tribuno a déclaré qu’il était l’unique propriétaire. Interrogé, il précise contrôler Lipany depuis 2009. Orpea dit n’en avoir jamais été actionnaire, et qualifie Roberto Tribuno de « partenaire historique », sans plus de détails.

Ce discret comptable italien, âgé de 58 ans, a commencé sa carrière à Londres, puis a créé son propre cabinet de conseil financier et fiscal : Bridge Kennedy International, avec des bureaux à Milan, Londres et Luxembourg. C’est justement sous les cieux fiscalement cléments du grand-duché que s’est nouée sa collaboration avec Orpea.



Au début des années 2000, Tribuno était administrateur de Brige, une holding luxembourgeoise absorbée en 2005 par Orpea, qui a joué un rôle clé dans le lancement des activités du groupe en Italie. Cette même année, Tribuno devient l’homme fort d’Orpea dans le pays, puis le PDG de la filiale italienne en 2011. Il a quitté ce poste en 2017, tout en conservant des fonctions dans trois filiales locales du groupe.

Parallèlement, Roberto Tribuno faisait personnellement des affaires avec Orpea via la discrète société luxembourgeoise Lipany, et a continué après avoir quitté ses fonctions de patron d’Orpea Italie.

L’essentiel de l’activité de Lipany consiste à investir, aux côtés d’Orpea, dans des dizaines de résidences et maisons de retraite gérées par le groupe en France, en Italie et en Allemagne, ainsi que des sociétés en Belgique. Selon ses comptes 2019, les derniers publiés, Lipany a accumulé 92 millions d’actifs.


Screenshot from the Luxembourg register of beneficial owners

Lipany ne fait presque aucun bénéfice et n’a jamais distribué de dividendes. Les activités sont entièrement financées par la dette.

Ce qui pose la question du financement de la société, pour le moins opaque. Après avoir souscrit des prêts bancaires, Lipany a, à partir de 2015, emprunté des dizaines de millions d’euros à des « parties liées » et à d’« autres » entités. En 2019, elle avait une dette de 94 millions, dont seulement 10 millions auprès d’organismes financiers, et 84 millions d’« autres dettes ».


© Joanna Kopacka and Manuel Rico pour Investigate Europe

Ces créanciers semblent être les principaux bénéficiaires de Lipany : ils ont perçu 4,8 millions d’euros de frais financiers entre 2015 et 2019.

Orpea et Roberto Tribuno ont refusé de divulguer l’identité de ces mystérieux prêteurs. « Lipany finance ses activités grâce à ses fonds propres et à des fonds de tiers, collectés de manière appropriée sur les marchés financiers primaires et secondaires », indique M. Tribuno.

Le directeur financier d’Orpea au cœur du système

Les activités parallèles de la société de Roberto Tribuno étaient menées en collaboration étroite avec Sébastien Mesnard, nommé directeur financier d’Orpea en 2007, l’année de création de Lipany.

Les deux hommes sont si proches qu’ils sont, à titre privé, actionnaires de trois sociétés françaises, créées en 2014 pour acquérir des biens immobiliers à Paris et à Versailles. Sébastien Mesnard en détient 99 %, et Roberto Tribuno 1 %.

« Ils s’entendaient très bien. Quand Mesnard venait en Italie, il allait directement voir Tribuno », indique José Parrella, un ancien cadre d’Orpea Italie. Il affirme n’avoir jamais été informé des activités de Lipany : « Il y avait un écran de fumée autour de tout ça. »

Le directeur financier d’Orpea a joué un rôle clé : il a exercé des fonctions dans cinq filiales de Lipany, et a même été mandaté à trois reprises par la société en 2018, lorsque Lipany a acheté ou vendu des sociétés italiennes… à Orpea. Un beau conflit d’intérêts.

La proximité ne s’arrête pas là. Alors que les deux groupes sont officiellement indépendants l’un de l’autre, trois autres cadres et anciens cadres d’Orpea ont occupé des fonctions ou effectué des missions au sein de filiales de Lipany.

L’un d’entre eux, Jean-Claude Brdenk, ancien directeur des opérations d’Orpea, indique que ses mandats au sein de sociétés contrôlées par Lipany lui ont été attribués par « le service juridique du groupe »« Pour autant que je sache, Orpea était l’opérateur et avait soit des actions, soit éventuellement des contrats de gestion », poursuit-il.

La confusion est telle qu’Orpea a déclaré pendant cinq ans, dans la liste officielle de ses filiales, une société immobilière italienne qui appartenait en réalité à Lipany.

En France, des informations « erronées » dans les comptes 

Il y a, en France, un autre exemple frappant. En 2015, des hommes d’affaires fondent le groupe France Seniors, afin de créer des résidences haut de gamme pour personnes âgées non dépendantes, aujourd’hui exploitées par Orpea.

À partir de 2015, Orpea a pris 49 % du capital des 14 sociétés chargées de construire les résidences, de Cogolin à Rouen en passant par Bourges et Aurillac. Le solde de 51 % appartient à la société RSS Seniors+, que Lipany a rachetée en 2018.

Mais alors que Lipany appartient à Roberto Tribuno, il donne à Orpea le contrôle de ses activités françaises.

Juste après le rachat, Lipany a nommé le directeur financier d’Orpea comme président de RSS Seniors+ et de ses 14 filiales, dont les sièges sociaux ont été transférés… au siège d’Orpea. Dans des documents officiels de 2021, Sébastien Mesnard indique qu’il y a eu « reprise par le groupe Orpea de la gestion » de plusieurs de ces sociétés (voir ci-dessous).


Orpea’s legal director signing minutes of RSS Seniors+, owned by Lipany

Nous avons retrouvé le procès-verbal, daté de septembre 2021, des « décisions de l’associé unique » de RSS Seniors+. Bien que cet actionnaire soit une filiale belge de Lipany, le document est signé par Bérengère Demoulin, secrétaire générale et responsable des affaires juridiques d’Orpea – tout comme les procès-verbaux des assemblées générales des 14 filiales immobilières.

Contactée, Mme Demoulin indique n’avoir exercé « aucune fonction » au sein de ces sociétés, et qu’elle a seulement assuré « un service classique de secrétariat juridique » au sujet des formalités administratives.

Il y a dans cette opération un autre problème encore plus troublant. RSS Seniors+ et ses filiales ont déclaré dans leurs comptes officiels qu’elles sont fiscalement intégrées au groupe Orpea (notre document).


The « erroneous » tax integration in official accounts

Sauf que ce régime d’« intégration fiscale », très favorable pour les grands groupes, n’est autorisé que pour les filiales détenues à au moins 95 %. Il est interdit pour Orpea, qui détient 0 % de RSS Seniors+ et 49 % de ses filiales immobilières.

Si les documents comptables sont exacts, il y a donc deux possibilités : soit les filiales françaises de Lipany ont bénéficié illégalement du régime d’intégration fiscale, soit Orpea possède Lipany.

Interrogé, Orpea a affirmé que RSS Seniors+ et ses filiales ne sont pas intégrées fiscalement au groupe, et que les informations à ce sujet dans les comptes de ces sociétés sont « erronées »

Les comptes ont pourtant été certifiés par deux commissaires aux comptes différents, qui engagent leur responsabilité personnelle. L’un d’eux a refusé de répondre, le second n’a pas répondu. Le président de ces sociétés, l’ancien directeur financier d’Orpea Sébastien Mesnard, n’a pas donné suite.

Roberto Tribuno, actionnaire majoritaire des sociétés concernées, répond qu’il n’a « pas été informé » des bilans comptables et de leur « exactitude »« En tant qu’actionnaire de la société holding, je ne suis pas impliqué dans les opérations des filiales, et encore moins dans les filiales des filiales », a-t-il ajouté.

Commissions occultes au Luxembourg 

Une autre histoire plus douteuse encore implique Lipany en France. En 2014, la holding de Roberto Tribuno a racheté 49 % des parts d’une autre société luxembourgeoise, Health Luxembourg Invest (HLI). Le montant de l’opération est astronomique : 715 190 euros pour des actions qui valaient en réalité 15 190 euros. 

Comme nous le détaillerons dans le prochain épisode de notre enquête, Lipany a ainsi couvert une commission occulte versée trois ans plus tôt par Orpea à l’un de ses intermédiaires, Jean-François Rémy, qui avait obtenu l’ouverture d’un Ehpad.

Selon Jean-François Rémy, Orpea avait voulu dissimuler cette commission, et l’avait payée via le rachat de 49 % de HLI pour faire croire à ses commissaires aux comptes qu’il s’agissait d’un investissement.

Sauf que cet investissement à 715 190 euros ne valait quasiment rien. En rachetant ces actions pour le même prix trois ans plus tard, Lipany a donc aidé Orpea à se débarrasser de cet actif suspect et à nettoyer son bilan.

Interrogé, Roberto Tribuno indique ne pas savoir que HLI avait servi à payer Jean-François Rémy, et que Lipany a investi dans l’entreprise « en vue de développer de nouvelles activités au Luxembourg ».

Procès pour fraude et redressement fiscal en Italie 

Avant son arrivée en France, c’est tout naturellement en Italie, le pays de Roberto Tribuno, que Lipany a pris racine, avec au moins 19 sociétés dans le pays, dont la grande majorité travaille avec Orpea. Le groupe a même transféré les murs de six de ses établissements à des filiales de Lipany, tout en continuant à les exploiter.

C’est ainsi qu’Orpea a versé des loyers au groupe de Roberto Tribuno : plus de 5 millions d’euros en 2020. La multinationale de l’or gris a accordé un prêt de 2,7 millions à l’une de ces filiales de Lipany, avec un taux d’intérêt dérisoire de 0,1 %. 

Orpea détient aussi une participation minoritaire dans deux sociétés appartenant à Lipany, qui gèrent la clinique Cardinal-Minoretti à Gênes. Elles allouent les ressources, collectent l’argent des patients, empochent des subventions publiques et facturent des frais de gestion. Le personnel soignant est employé par une coopérative liée à Orpea.

Orpea et Lipany se sont vendu 14 sociétés italiennes en huit ans, se livrant à un véritable jeu de ping-pong.

Par ailleurs, Orpea et Lipany font appel à la même commissaire aux comptes, Marza Ferrara, qui détient 30 % des deux sociétés de conseil de Tribuno (Euro BKI et Bridge Kennedy International). Un conflit d’intérêts flagrant, mais qui ne semble déranger ni Orpea ni Lipany.

Roberto Tribuno répond que Marza Ferrara est « indépendante » et qu’il n’y a « aucun conflit d’intérêts ». Contactée, l’intéressée n’a pas répondu.

Plus troublant encore, Orpea et Lipany se sont vendu 14 sociétés italiennes en huit ans, pour la plupart immobilières, se livrant à un véritable jeu de ping-pong, certaines sociétés effectuant plusieurs allers-retours parfois à une année d’intervalle. Des opérations dont on peine à cerner l’intérêt économique, les prix étant souvent similaires.

Exemple : la société Casamia Asti, propriétaire de la clinique du même nom. Vendue à Lipany pour 5 millions en 2014, Orpea la rachète 5,2 millions, puis la revend 5 millions à son partenaire. Profit pour Lipany : 200 000 euros.

Roberto Tribuno n’a pas souhaité s’expliquer à ce sujet, indiquant seulement que ses sociétés ont agi « en totale conformité avec la réglementation », et que Lipany et Orpea ont toujours approuvé les transactions en connaissance de cause.

Qui a validé chez Orpea ? On l’ignore. Mais sur les documents de vente, c’est Roberto Tribuno et son père Carlo qui signent pour Lipany, tandis qu’en face, c’est parfois le même Roberto Tribuno ou le puissant directeur financier d’Orpea, Sébastien Mesnard, qui représentent le groupe français

Mesnard et Tribuno ont franchi la ligne rouge en Italie, en prenant part à une fraude présumée à la TVA qui a mis en faillite une coopérative financée par Orpea. Fondée en 2009, Esse Tre était chargée de recruter du personnel de sept Ehpad, dont l’immobilier appartenait parfois à Lipany, et qui travaillait exclusivement avec Orpea.

Esse Tre a été fondée par Sébastien Mesnard, Roberto Tribuno ainsi que sa femme, son père, un autre parent et certains de ses partenaires commerciaux habituels. Cette coopérative a engagé, selon ses comptes officiels, des frais de « conseil fiscal, administratif et commercial » étonnamment élevés : 10 millions d’euros en neuf ans ! M. Tribuno affirme que le montant réel est « beaucoup moins élevé » et que ces prestations ont été payées « à des conditions normales de marché »

Mais ce n’est pas sur ce point que les deux hommes auraient commis des irrégularités. Ils ont, pendant des années, déclaré à tort Esse Tre comme « une coopérative sociale » afin de payer un taux de TVA réduit de 4 %. Un rabais juteux qui bénéficiait au couple Mesnard-Tribuno, mais aussi à Orpea, unique client de la coopérative.

En 2015, les services fiscaux italiens ont découvert l’entourloupe, sanctionnée par 600 000 euros de pénalités. 

Roberto Tribuno répond que le redressement fiscal était « erroné » et juridiquement infondé, et qu’un accord transactionnel a finalement réduit les pénalités de plus de 80 %.

L’amende a tout de même provoqué la chute puis la liquidation de la coopérative en 2019. Mais Orpea est arrivé à la rescousse, injectant 1,75 million d’euros pour que l’activité redémarre. Pourquoi Orpea a-t-il sauvé le business de Roberto Tribuno et de Sébastien Mesnard, à l’époque directeur financier du groupe ? On l’ignore, mais nous avons découvert que M. Mesnard a présidé la réunion du conseil d’administration d’Orpea qui a validé le sauvetage d’Esse Tre. 

Esse Tre sauvée, Roberto Tribuno n’est pas encore au bout de ses peines. À la fin mai, il comparaîtra devant un tribunal pour « fraude » et « détournement de fonds » dans une autre affaire liée à Lipany. Il est, comme les autres prévenus, présumé innocent.

Il s’agit d’une escroquerie présumée à la clinique Sant’Anna, rachetée en 2015 par Lipany, la société luxembourgeoise de M. Tribuno. Les faits ont commencé avant son arrivée mais se sont poursuivis sous sa gouvernance.

Les juges se pencheront notamment sur des factures présumées frauduleuses aux services de santé publique, pour des tests médicaux et des déplacements en ambulance. Au total, plus de 260 000 euros d’argent public ont été détournés entre 2012 et 2017, selon les conclusions du procureur, que nous avons consultées.

Comme à chaque fois, Orpea n’est jamais loin. Plusieurs cadres du groupe ont œuvré au sein de la sulfureuse clinique Sant’Anna en tant que représentants et administrateurs : le directeur financier Sébastien Mesnard, le directeur du développement à l’époque Jean-Claude Brdenk, et l’actuel patron d’Orpea Italie, Thibault Sartini. Ils ont exercé de brefs mandats de trois mois entre 2015 et 2016, dont certains pendant la période de la fraude présumée. 

Sollicité, M. Mesnard n’a pas répondu. MM. Brdenk et Sartini nous ont indiqué qu’ils ignoraient tout de l’affaire, car ils sont restés très peu de temps, pour examiner une mise en franchise de la clinique. L’idée a été abandonnée, mais Roberto Tribuno a continué de la gérer lui-même sous la marque de Lipany : ComfortCura, une société de conseil en santé qui supervise neuf cliniques, dont aucune n’est liée à Orpea.

La bonne fortune de Roberto Tribuno 

Les affaires de Roberto Tribuno avec Orpea ont contribué à sa fortune. Une grande partie de ses actifs est logée sous les cieux fiscalement cléments du Luxembourg, dans une société nommée Ezine Invest, constituée en 2004 par deux noms familiers : Beston et Bynex, les sociétés-écrans qui ont également créé Lipany.

Ezine Invest détient des biens immobiliers d’une valeur nette de plus de 6 millions d’euros au Royaume-Uni. Roberto Tribuno en possède 50 %, en compagnie d’un proche.

En France, en plus de ses 1 % dans trois sociétés de Sébastien Mesnard, Roberto Tribuno possède une holding à Paris, nommée Sara et créée en 2011. L’homme d’affaires italien y a transféré des biens immobiliers situés à Paris et à Nice, qui valaient à l’époque un peu plus d’un million d’euros. 

En matière de business, sa lune de miel avec Orpea se poursuit. Roberto Tribuno s’est lancé dans la construction d’établissements pour le géant français des Ehpad, via deux sociétés détenues par des holdings luxembourgeoises.

La première, Health Invest, est une filiale de Lipany. La seconde, Rodevita, est détenue à 55 % par M. Tribuno et à 45 % par Orpea. Ces deux sociétés construisent actuellement quatre maisons de soins pour le compte du groupe français. En 2018, Orpea a accordé à Rodevita un prêt sans intérêts de 20 millions d’euros, via sa filiale luxembourgeoise Brige, avec la validation du directeur financier à l’époque, Sébastien Mesnard.

Nous nous sommes heurtés, au sujet de Lipany, à un mur du silence. Orpea a refusé de nous répondre. Sébastien Mesnard, l’ancien directeur général du groupe Yves Le Masne, ainsi que le fondateur d’Orpea Jean-Claude Marian n’ont pas donné suite.


Cet article a préalablement été publié par notre média partenaire, Médiapart.

Mise à jour (18.05.2022) : après la publication de cet article, Orpéa a annoncé que Sébastien Mesnard a quitté ses fonctions suite à nos révélations.

Édition : Manuel Rico (InfoLibre), Yann Philippin (Mediapart) et Elisa Simantke

Graphiques et illustrations : Joanna Kopacka et Federica Bonetti