Analyse de données :  La crise du logement en Europe 

Coins balancing on a thread
Alexia Barakou

Dans l’Union des 27, les prix de vente de l’immobilier ont augmenté en moyenne de 40% entre 2015 et 2021. Alors que ces chiffres varient significativement suivant les pays,  il est très rare que les prix baissent. Plusieurs facteurs peuvent avoir un impact sur les prix de l’immobilier en Europe, comme le montre notre dernière enquête sur les niches fiscales du secteur immobilier. Les avantages fiscaux à destination des investissements immobiliers jouent un rôle significatif dans l’évolution de la dynamique immobilière.

“Il est indiscutable que les prix de l’immobilier sont gonflés par ces avantages fiscaux”, souligne John Christensen, cofondateur du Tax Justice Network. “Les développeurs immobiliers bénéficient d’exemptions fiscales qui n’ont pas ou peu de réel objectifs économiques. Dans la plupart des cas, les investisseurs étrangers ne voient dans ces placements qu’une opportunité pour bénéficier d’exemptions fiscales.”

Entre 2015 et 2021, les loyers ont augmenté plus lentement, de 8% en moyenne. Cela correspond à peu près à l’inflation cumulée sur la période. En d’autres termes, bien que les loyers augmentent en moyenne en UE, ils restent similaires à ceux de 2015. Le marché locatif n’est pas élastique, les prix suivent plus lentement la croissance des prix des logements. Mais sur le long terme, on peut s’attendre à une hausse significative des prix. Toutefois, les prix de l’immobilier ont monté en flèche ces dernières années, en partie à cause des changements d’attitude des investisseurs : l’immobilier résidentiel est davantage considéré comme un investissement prometteur. 



Escalade dans les prix de l’immobilier

Comparé à 2010, les prix de l’immobilier n’ont baissé que dans trois États membres du sud de l’UE : l’Italie, l’Espagne et Chypre. Dans tous les autres pays de l’Union, mais aussi au Royaume-Uni et en Norvège, les prix ont augmenté depuis 2010 à des taux bien supérieurs à l’inflation ou à l’augmentation des salaires.  

En Estonie, par exemple, les prix de l’immobilier résidentiel ont plus que doublé en une décennie. En Hongrie, au Luxembourg, en Lettonie et en Autriche  ils ont été multipliés par deux, à minima.  



En Estonie, par exemple, les prix de l’immobilier résidentiel ont plus que doublé en une décennie. En Hongrie, au Luxembourg, en Lettonie et en Autriche  ils ont été multipliés par deux, à minima.  

En Allemagne et en Scandinavie, on note aussi des hausses significatives. En plus, dans ces pays et sur la même période, les revenus n’ont pas augmenté aussi significativement qu’en Hongrie ou en Estonie. Cela signifie que cette hausse plus raisonnable qu’ailleurs, s’est plus ressentie dans le quotidien des habitants. 

Un bas de laine de plusieurs décennies

Dans un rapport consacré au marché de l’immobilier, publié à la fin du mois de novembre, la banque nationale hongroise a publié un tableau descriptif des prix immobiliers. Le graphique montre combien d’années d’économies de salaire moyen sont nécessaires pour acquérir un appartement de 75m2 (avec un prix moyen par m2) dans la capitale d’un pays donné. Le calcul implique bien l’intégralité des salaires perçus sur une année.  



Les différences sont frappantes : à Prague, Bratislava et Paris, il faut économiser en moyenne 20 années de salaires pour acquérir cet appartement. Dix ans pour Oslo et Rome, et moins de dix ans pour Dublin, Bruxelles et Nicosie. Bien sûr, l’option de dépenser l’intégralité de ses salaires dans l’achat d’un bien immobilier n’est pas possible, il faut donc contracter un prêt, hériter ou vendre un bien. 

Les chiffres datent du dernier quart de l’année 2022. Si on les compare à l’année précédente, le temps nécessaire pour acheter un appartement avec un salaire moyen n’a baissé que dans six capitales étudiées sur 28.

Selon une autre étude publiée plus tôt par la même banque nationale hongroise, pour acheter un appartement ancien à Budapest en 2012, il fallait compter 6,3 années, 9,2 pour du neuf. À la fin de l’année 2022, il faut en compter… 18. 

L’ombre du rideau de fer

Dans les États membres, le ratio de propriétaires par rapport aux locataires peut varier considérablement. Dans les anciens pays communistes, la part de propriétaires avoisine les 90% ou plus, alors que le chiffre est bien plus bas pour les pays de l’ancien bloc Ouest. Exception faite du Danemark et des pays germanophones (l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse), où locataires et propriétaires sont à égalité ou presque. 



Donc la hausse des prix de l’immobilier affecte différemment les européens suivant qu’ils vivent en Roumanie ou en Allemagne. Il reste néanmoins vrai partout que l’accession à la propriété est de plus en plus difficile. Les pays de l’Est, à cet égard, sont encore une fois mieux lotis que les autres : il est plus facile de devenir propriétaire quand on hérite d’une propriété. L’Ouest et le Nord quant à eux ont de plus forts taux d’endettement, selon la banque centrale européenne et des prix plus attractifs : les habitants de ces pays peuvent donc acheter plus, dans de meilleures conditions et avec un meilleur crédit. 

Les augmentations de loyer ne sont pas (encore) trop graves

Beaucoup n’héritent pas de biens immobiliers, d’une fortune, et tout le monde ne souhaite pas contracter un prêt immobilier. Il y a celles et ceux qui atterrissent dans le marché de la location, contraint.e.s et forcé.e.s, et les autres qui préfèreront toujours louer plutôt qu’acheter.  



Une ventilation pays par pays montre que la hausse des loyers est à la traîne par rapport à la hausse des prix de l’immobilier. En Irlande, Hongrie, Lituanie et Estonie, les loyers ont augmenté de façon significative : de 30%, mais les revenus moyens mensuels ont plus augmenté encore, dans ces quatre pays. Ce qui fait que le logement reste relativement abordable, malgré l’augmentation des loyers.

Mais cela ne signifie pas pour autant que la situation s’améliore. Il y a consensus, chez les experts du sujet, pour dire que les loyers mensuels valent généralement entre 5 à 7% de la valeur de la maison. Cependant, sur le long terme, les loyers n’ont pas encore répercuté la hausse des prix de l’immobilier. Mais ce n’est qu’une question de temps. 

… mais restent dramatiques pour des millions d’habitant.e.s

L’agence publique Eurostat ne dispose pas des données concernant les revenus des locataires, mais des bases de données nationales montrent que les propriétaires, sans grande surprise, ont tendance à gagner plus que leurs locataires. Donc le fait que les loyers soient plus abordables ne veut pas dire grand chose. Au quotidien, l’expérience le montre aussi car les gens qui n’ont pas vu leurs revenus augmenter ces dernières années continuent de louer. Ce qui peut aussi se refléter dans le dépassement du ratio de solvabilité du locataire. 

En 2021, 50% des locataires de l’UE des 27 dépensaient plus de 40% de leurs revenus dans le logement, en 2021, contrairement à 11,5% des propriétaires qui avaient fini de rembourser leurs échéances. La Grèce connaît la pire situation pour les locataires : 96,6% d’entre eux dépensent plus de 40% de leurs revenus dans le logement. Les Pays-Bas sont les deuxièmes, avec plus de 80% de foyers concernés. Bien sûr, il existe aussi des différences significatives dans chaque groupe de revenus. Un tiers des 20% de salariés les plus pauvres sont concernés, contrairement à 0,6% des 20% les plus riches. 

Bon courage si vous gagnez un salaire moyen mais que vous n’avez pas d’appart

Chaque année, l’agence Eurostat et le service international des rémunérations et des pensions (SIRP) publient un fascicule sur les loyers moyens dans les capitales européennes. Ils font la moyenne des prix du marché en prenant les produits les plus recherchés, des appartements centraux, bien placés, construits ou rénovés il y a moins de dix ans. Leurs prix moyens sont donc nettement supérieurs aux prix moyens réels, dans ces grandes villes. Mais les différences sont néanmoins marquantes. 



Dans presque tous les pays, les appartements avec une chambre sont presque inabordables pour les salaires médians. À Bruxelles et Nicosie, il faudra dépenser 41% de votre salaire pour s’y loger. Donc même dans les villes les moins chères, les personnes gagnant salaire moyen et cherchant à louer un tel appartement se retrouvent directement dans le rouge.  

À Athènes, Lisbonne, Bucarest et Zaghreb, les gens devraient dépenser plus que leurs revenus annuels sur les loyers. Dans ces villes, il est strictement impossible pour quiconque avec un salaire moyen de loger dans un endroit bien placé, récent et avec une chambre. 

Mais les données d’Eurostat et numbeo.com suggèrent que le même ratio pourrait tout aussi bien s’appliquer pour les locations de studios, loin du centre ville. Dans d’autres villes, la situation est peut-être meilleure, les chiffres restent saisissants. 



Graphiques : Marta Portocarrero / Traduction : Anne-Laure Pineau