La crise énergétique ravive le débat sur le gaz de schiste en Europe

Il controverso sito di fracking dell'azienda Caudrilla nel Lancashire, Inghilterra.
Credit: Cuadrilla
Le site controversé de l'entreprise Cuadrilla dans le Lancashire, en Angleterre

Depuis la fenêtre de son salon, Susan Holliday a été témoin de l’avènement puis de la chute du gaz de schiste britannique. Des années de manifestations et de batailles juridiques ont eu raison du dernier site d’extraction du Royaume-Uni qui se tenait là, à quelques centaines de mètres de sa maison dans le village de Little Plumpton, situé au nord-ouest de l’Angleterre. 

Depuis la fenêtre de son salon, Susan Holliday a été témoin de l’avènement puis de la chute du gaz de schiste Britannique. Des années de manifestations et de batailles juridiques ont eu raison du dernier site d’extraction du Royaume-Uni qui se tenait là, à quelques centaines de mètres de sa maison dans le village de Little Plumpton, situé au nord-ouest de l’Angleterre. 

Quand elle a posé ses valises dans ce petit coin du Lancashire, en 2007, Susan entendait couler une douce retraite à la campagne avec son mari. Mais en 2017, le champ verdoyant de l’autre côté de la route a laissé place à une plateforme de forage et à une torchère (une cheminée d’évacuation).

C’est là que son cauchemar a commencé : entre 2018 à 2019, les travaux d’exploration ont provoqué des centaines de petits tremblements de terre dans la région le tout dans un ballet constant de camions, de voitures de police et d’opposant.e.s le long de sa rue.

Il y a 3 ans, le séisme le plus important, d’une magnitude de 2,9 sur l’échelle de Richter, a fait trembler jusqu’aux murs de sa maison. Ce jour-là les secousses ont été si intenses, que le gouvernement a décidé de mettre un terme à la fracturation hydraulique sur le territoire. Cela faisait 10 ans qu’il multipliait les tentatives d’extractions.

“C’était le matin du 15 août, se souvient Susan Holliday. Nous étions dans notre cuisine et tout à coup, les casseroles, les verres, le service de porcelaine se sont mis à tintinnabuler dans les placards, c’était assez terrifiant”.



La fracturation hydraulique est une méthode d’extraction controversée. Il s’agit d’injecter dans le sol à haute-pression un cocktail d’eau et de produits chimiques provoquant une remontée du gaz vers la surface. 

Ce processus peut déclencher des tremblements de terre, mais également avoir de lourdes conséquences sur la santé humaine et l’environnement.

Des rapports récents montrent que cette méthode expose la population à des risques de maladies graves, comme la leucémie infantile, et une étude de 2019 a également montré que “la production de gaz de schiste en Amérique du Nord pourrait avoir contribué à plus de la moitié de la hausse des émissions liées aux énergies fossiles, dans le monde”.

Mus par des préoccupations environnementales et géologiques, les pays européens ont donc les uns après les autres banni l’exploitation de gaz de schiste : la France en 2011, le Danemark et la Bulgarie en 2012, les Pays-Bas en 2015 et l’Allemagne en 2017. D’autres, comme la Norvège et la Suède, ont considéré cette technique non viable sur le plan économique. 

En Pologne, où de nombreuses campagnes ont été menées, les entreprises ont jeté l’éponge, déçus par les résultats.

Après le tremblement de terre de 2019 dans le Lancashire, le Royaume-Uni a décidé d’imposer un moratoire pour cette activité, jusqu’à ce que de nouvelles preuves démontrent que l’extraction peut être opérée en toute sécurité.


Crédit : Investigate Europe

La guerre en Ukraine relance le débat

Contre toute attente, ce n’est pas une découverte scientifique qui a permis à la fracturation hydraulique de regagner les faveurs de certains gouvernements européens. Après l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine, les livraisons de gaz en Europe ont été réduites de près de 75%

Alors que les Européen.nes sont confronté.e.s à des hausses sur leurs factures d’électricité, certain.e.s politiques et patron.nes du secteur de l’énergie veulent donner une nouvelle chance à cette méthode controversée. Leur but : atteindre une réserve estimée à 14 milliards de mètres cubes de gaz de schiste reposant dans le sous-sol européen.

Au Royaume-Uni, le Premier ministre sortant Boris Johnson a commandé un rapport en avril dernier pour renseigner une potentielle levée de l’interdiction. Ses conclusions ne seront connues qu’après son départ. Interrogé.e par Investigate Europe, un.e porte parole du gouvernement a d’ores et déjà affirmé que toutes les options étaient sur la table car le pays a cruellement besoin de gaz pour les décennies à venir.

Pendant ce temps-là, les deux candidat.e.s à sa succession, Rishi Sunak et Liz Truss, ont publiquement affiché leur soutien à la fracturation hydraulique. Par ailleurs, des exemptions fiscales pourraient même être allouées à l’industrie afin d’encourager l’exploration de nouvelles réserves d’énergie fossile, afin de limiter les conséquences de la crise énergétique.

À Berlin également, le lobby du gaz de schiste s’est trouvé des alliés chez les législateur.trices dévoué.e.s de droite et du centre. Le Parti libéral démocrate (FDP) est devenu l’un de ses meilleurs défenseurs dans la coalition au pouvoir. L’économie allemande étant particulièrement dépendante du gaz russe, la guerre a fait ressurgir ce vieux débat.

“Nous pourrions assurer notre souveraineté énergétique grâce à la production de gaz de schiste à l’échelle nationale, au lieu d’en importer des États-Unis ou d’ailleurs, avance Michael Kruse, qui siège au Bundestag dans les rangs du FDP.

L’une des solutions trouvées par l’Europe pour faire face aux réductions des livraisons de gaz russe, fut de tripler les importations américaines. Produire localement, suggère le député, serait 20% plus écologique que d’acheminer le gaz d’outre Atlantique. Pourtant, le FDP pourrait bien se confronter à des avis contradictoires. 

Sur les bancs de l’Assemblée, tout le monde ne partage pas le même enthousiasme quant aux énergies fossiles. Ingrid Nestle, du parti écologiste, prévient : la promesse gouvernementale d’atteindre l’objectif zéro émission d’ici 2045 serait sur la sellette, si de tels projets voyaient le jour. “Investir dans de nouveaux puits de fracturation hydraulique, qui seraient exploités pendant de longues années, rendrait ces objectifs climatiques d’autant plus compliqués à atteindre”, nous a-t-elle affirmé.

Une fausse bonne idée très polluante

De plus, de nombreux scientifiques et activistes s’accordent à dire non seulement que la fracturation hydraulique n’apporterait pas le soulagement escompté, mais pourrait aussi être une nouvelle source importante d’émission de gaz à effets de serre.

“Cela ne peut être considéré comme la solution pour réduire la crise énergétique sur le court terme”, soutient Charlotte Krawczyk, à la tête de la commission d’expert.e.s sur la fracturation hydraulique qui conseille le Bundestag. “Il faudrait patienter environ trois ans pour que commence l’exploitation, estime-t-elle. “Les lois sur l’eau devraient être modifiées, les concessions attribuées aux entreprises, sans compter la consultation des institutions publiques et des organisations non-gouvernementales”.

Crédit : Investigate Europe

Puisque l’Allemagne est bien plus densément peuplée que les États-Unis, Charlotte Krawczyk insiste sur le fait que les puits devraient être éloignés d’infrastructures clés et des zones sismiques. Cela impliquerait une surveillance accrue pour éviter la pollution de des nappes phréatiques et les émanations de méthane.

Ce gaz, qui peut s’échapper des puits en grandes quantités, est 80 fois plus puissant que le CO2. En réduire l’emprunte était une grande promesse de la COP 26 de Glasgow, où plus de 100 nations (et l’UE) s’étaient mises d’accord pour réduire de 30% ces émissions d’ici 2030.

Selon l’Agence internationale de l’énergie, aucun nouveau projet impliquant les énergies fossiles ne devrait apparaître sur la surface de la terre, si nous voulions atteindre l’objectif zéro émission d’ici 2050. 

Si l’Europe suivait l’exemple américain et autorisait l’extraction, elle abandonnerait inévitablement ses objectifs environnementaux, affirme Andy Gheorghiu, un activiste de Hesse du Nord (Allemagne) opposé au gaz de schiste.

“C’est dingue, on ne peut pas simplement ignorer ce qui se joue devant nous”, s’insurge-t-il”. “Le gaz a un sérieux impact sur le changement climatique : il va donc être nécessaire de nous en passer dans les années qui viennent”.

Une malencontreuse fuite au site de Preston New Road livre un avant-goût de ce que l’exploitation à plus grande échelle du gaz de schiste pourrait provoquer sur la planète. En l’espace d’une semaine, en janvier 2019, 4,2 tonnes de méthane se sont envolées dans l’atmosphère, quand des ingénieurs ne sont pas parvenus à enflammer la torchère. Cette fuite, équivalente à l’émission de 142 vols transatlantiques, a été enregistrée par une équipe de chercheur.euses dirigée par le Professeur Grant Allen de l’Université de Manchester.

Selon ce dernier, multiplier l’exploitation de gaz de schiste au Royaume-Uni pourrait contribuer significativement au réchauffement climatique à cause du CO2 qui serait libéré dans l’atmosphère, et au méthane qui pourrait s’échapper par accident.

“Extraire du gaz de schiste va à l’encontre de nos objectifs zéro émissions, nous devrions plutôt nous concentrer sur les énergies renouvelables plutôt que de remettre une pièce dans la machine des énergies fossiles”, nous explique Grant Allen, qui craint que l’option du gaz de schiste pour “faire tampon” ne fasse que repousser les objectifs vertueux.

La Hongrie donne son feu vert

Des sondages récents estiment que seul.e.s 27% des Allemand.e.s et des Britanniques soutiennent l’exploitation du gaz de schiste. Alors que les dirigeant.e.s politiques à Berlin ou à Londres débattent toujours sur la question, la Hongrie a discrètement accordé un va-tout pour ses propres projets d’extraction.

Pendant l’été, le cabinet de Viktor Orbán a annoncé un paquet législatif pour accélérer la production de gaz domestique et réduire “les effets de la crise énergétique causée par la guerre et les sanctions malvenues de Bruxelles”.

Au coeur de cette stratégie : l’exploitation du champ gazier de Nyékpuszta, dans la région orientale de Békés. Le projet est labellisé comme “investissement de haute priorité” avec une approbation rapide. Budapest espère lancer la production dès janvier 2023.

“Nos grandes plaines sont déjà en train de devenir des déserts”, dénonce Alexa Botar de l’ONG hongroise Friend of the Earth. “C’est une région thermale, les gens tirent leur revenus du tourisme, de la pêche et de l’agriculture. Je crains que tout cela ne provoque une contamination des eaux souterraines.” 

Alexa Botar regrette que ce type de décision soit prise pendant les vacances et accuse Orbán de faire de fausses promesses de prospérité en sacrifiant les petits villages.

En Grande-Bretagne, activistes et industriels fourbissent leurs armes

Pendant ce temps-là, le site de Preston New Road dans le Lancashire a obtenu un sursis de dernière minute en attendant que le prochain gouvernement décide du sort qu’il réservera au moratoire en cours.

Cuadrilla Resources, la firme qui possède les puits à quelques encablures de la porte d’entrée de Susan Holliday, a reçu l’ordre de ne pas les boucher, alors que leurs jours étaient jusque là comptés. Les autorités locales ont également jugé que, si les opérations devaient reprendre, aucune évaluation des risques environnementaux ne serait nécessaire.

Dans un communiqué que nous avons reçu, le PDG de Cuadrilla, Francis Eagan, dit se montre optimiste : “Il y a des milliards de mètres cubes de gaz de schiste qui gisent sous nos pieds, ici en Grande-Bretagne. Ils n’attendent qu’une chose : être distribués aux foyers britanniques. Si nous étions autorisés à les puiser, nous pourrions assurer la sécurité énergétique de la Grande-Bretagne pendant des décennies.”

L’industriel suggère que les dividendes, qui correspondraient à des chèques (d’une enveloppe estimée à 335 millions d’euros par projet), pourraient être distribués aux communautés locales.

Credit: Maxence Peigné
L’activiste Claire Stephenson membre du groupe Frack Free Lancashire / Crédit : Maxence Peigné


“C’est de la corruption, vous ne pouvez pas juste acheter la santé et la tranquillité d’esprit des citoyen.nes”, rétorque Susan Holliday, certaines que les habitants n’hésiteraient pas à ressortir les pancartes si nécessaire.

Claire Stephenson sera la première à monter sur les barricades. Devant les portes du site en sursis à l’arrêt de Cuadrilla, cette membre du groupe Frack Free Lancashire nous confie son inquiétude.

“C’est dur de rester positive, ça me rend malade que des personnes se permettent d’utiliser la crise ukrainienne pour remettre dans leurs programmes politiques la promotion du gaz de schiste”, explique-t-elle. 

Les multiples tentatives de Cuadrilla pour exploiter le site de Preston New Road ont toutes échoué, tient-elle à souligner : “Ils ont balancé tant d’argent dans ces puit crasseux et n’ont pas tiré assez de gaz pour allumer un barbecue, et encore moins pour alimenter une commune”.

Alors que l’hiver promet d’être rude en Europe et que la guerre en Ukraine redonne un nouveau souffle aux soutiens du gaz de schiste, les habitant.e.s des zones rurales britanniques se préparent à la bataille. Il en va de l’avenir de leurs terres.

Avec la participation de Nico Schmidt et Attila Kálmán.