Retour sur le double standard alimentaire en Europe

Photo: Juliet Ferguson

Tout commence par de sérieuses accusations : on vendrait aux nouveaux États membres de l’UE (en Europe de l’Est et centrale) des produits de moins bonne qualité que les pays de l’Ouest de l’Europe.

En 2011, l’Association des consommateurs slovaques conduit des tests en laboratoire sur des échantillons de produits alimentaires, des boissons sucrées, du chocolat, du café instantané, achetés dans huit pays différents de l’Union Européenne. Les résultats montrent clairement des différences qualitatives dans la composition d’une majorité des produits soumis aux tests.

Depuis, plusieurs sondages, études et analyses ont été mené.e.s par des autorités d’inspection des aliments et des associations de consommateur.rices dans plusieurs pays d’Europe de l’Est et centrale. Et les preuves ont commencé de s’amonceler.

Les gouvernements de Croatie, de République-Tchèque, de Slovaquie, de Slovénie et de Hongrie ont fait remonter leurs inquiétudes à Bruxelles. Le Ministre de l’agriculture tchèque, Marian Jurečka, a souligné que les pays de l’Est en avaient assez d’être « la poubelle de l’Europe ». Le Premier ministre bulgare Boyko Borissov a même accusé l’Europe de maintenir un « apartheid alimentaire ».

À la suite d’un débat public très mouvementé sur la différence de qualité des produits alimentaires, en 2017, la Commission européenne a promis que la situation allait changer.

Dans son discours annuel sur l’état de l’Union européenne, Jean-Claude Juncker le Président de la Commission a tenu à rassurer les pays : « dans une Union égalitaire, il ne peut y avoir de consommateurs de deuxième classe ».

« Je ne peux pas accepter que dans certaines parties de l’Europe, en Europe de l’Est ou Centrale, les consommateurs.rices achètent de la nourriture de la même marque, avec le même packaging, mais de moins bonne qualité », a-t-il dit. « Les Slovaques ne méritent pas d’avoir moins de poisson dans leur poissons panés. Les Hongrois.e.s moins de viandes dans leurs plats préparés. Les Tchèques moins de cacao dans leur chocolat. De telles pratiques sont déjà interdites en théorie. »

Quatre ans après, nous avons décidé d’aller faire notre shopping, pour savoir si en effet, les Slovaques avaient autant de poisson que les Français.e.s dans leur poisson pané, et si les Tchèques avaient autant de cacao que les Allemand.e.s dans leur chocolat.

Nous avons basé nos comparaisons sur un panier de 24 produits qui sont vendus dans 15 pays européens différents, à la fois à l’Ouest et à l’Est de la communauté. Certains produits ont été achetés dans des supermarchés. Pour d’autres, nous avons récolté les informations nutritionnelles sur les sites des magasins d’alimentation. Nous avons choisi des produits populaires, qui peuvent être très facilement trouvés dans les rayons partout en Europe : des confitures, des crèmes glacées, de la pizza surgelée, des gâteaux, des sauces et des chocolats. Nous avons également comparé les ingrédients et les informations nutritionnelles de cinq boissons sucrées très populaires, avec les informations recueillies chez les fabricants.

Au total, nous avons donc travaillé sur 29 produits différents. Certains avaient déjà été testés par la branche recherche de l’Union européenne, le centre commun de recherche, d’autres par des associations de consommateurs locales.


La liste de course d’Investigate Europe

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Nous avons découvert que nombre de produits vendus par le même fabriquant, sous la même marque, n’ont pas la même composition suivant le pays où on les achète. Et parfois, les compositions diffèrent de beaucoup. Mais nous ne retrouvons pas de schéma opposant Est et Ouest.

Cependant, nous avons fait une découverte : deux ingrédients se sont distingués. On les a retrouvés davantage représentés dans les produits vendus dans les États les plus pauvres de l’Union. L’huile de palme et le sirop de glucose. Ce sont respectivement des ersatz d’huile de colza ou d’huile végétale, et de sucre.

L’huile de palme

Dans notre comparaison, nous avons retrouvé plusieurs exemples où l’huile de palme fait partie de la composition de produits vendus sur le marché Est-européen.

Par exemple, les biscuits au chocolat Leibniz vendus en Bulgarie ont dans leur composition de l’huile de palme. Un ingrédient que l’on ne retrouve pas dans les versions de cinq autres pays. Les glaces Cornetto classiques sont fabriquées avec de l’huile de coco et de l’huile de tournesol dans huit pays sur neuf, à la fois à l’Est et à l’Ouest de l’Europe. En Pologne, la crème glacée contient de l’huile de palme et de l’huile de coco.

Les représentant.e.s de Unilever (qui possède la marque Cornetto) n’ont pas répondu à nos demandes d’interview.

L’huile de palme est l’huile végétale la moins chère du marché, et de loin. Elle est également plus facile à travailler, parce qu’elle garde une forme solide même à température ambiante. Elle peut donc être travaillée comme du beurre, a expliqué Björn Bernhardson, responsable et fondateur de l’ONG suédoise Äkta Vara, qui fait la guerre contre les additifs alimentaires.

« Nous pouvons produire de l’huile de colza ici [en Europe], mais faire venir de l’huile de palme depuis l’autre côté du globe reste moins cher », ajoute-t-il.

Les glaces Cornetto qui contiennent de l’huile de palme en Pologne ont-elles un goût différent ailleurs ? Sûrement pas, souligne Björn Bernhardson, car l’huile perdra son goût originel dans le raffinage.

« En premier lieu, vous retirez son goût à la matière, et ensuite vous y ajoutez le parfum que vous souhaitez. Vous feriez un blind-taste, personne ne remarquerait la différence », dit-il.

L’huile de palme est souvent critiquée pour des raisons de santé et des raisons environnementales. L’huile de palme et l’huile de coco contiennent bien plus de graisses saturées que les huiles végétales. Les graisses saturées provoquent du mauvais cholesterol, lié aux maladies cardio-vasculaires. Les graisses saturées comptent pour 49% des graisses dans l’huile de palme, des taux 4 à 5 fois supérieurs à ceux de l’huile de colza, de tournesol ou de maïs.

De nombreuses agences de sécurité alimentaire européennes recommandent une réduction des apports en graisses saturées. La raison est simple : on a démontré un lien entre graisses saturées et hausse des risques de maladies cardio-vasculaires. Ce n’est pas le seul problème de santé lié à l’huile de palme. L’Autorité pour la sécurité alimentaire européenne, l’Efsa, a adressé un risque de santé publique qui concerne des substances nocives se formant lors du raffinage des huiles végétales à haute température (200° ou plus). Les plus hauts niveaux de présence de ces substances nocives ont été observés lors du raffinage de l’huile de palme.

Il existe des inquiétudes au niveau européen concernant l’utilisation de l’huile de palme, c’est pourquoi les fabricants seront bientôt obligés de publier la composition de leurs produits, avec un focus particulier sur l’huile de palme. Le premier industriel concerné, Ferrero. L’un de ses produits phares, Nutella (une crème composée de gras, de sucre et de poudre de noisette), contient 32% d’huile de palme. La marque cible pourtant les enfants.

En plus des risques pour la santé, l’expansion de la production d’huile de palme et son utilisation grandissante ont une incidence dévastatrice sur l’environnement. Si les prix de l’huile de palme sont si intéressants, c’est parce que pour agrandir les zones de productions, on brûle les forêts tropicales.

Quand nous avons commencé à comparer les produits à travers toute l’Europe, nous avions des indices que certains producteurs utilisaient l’huile de palme dans d’autres produits vendus sur les marchés Est-européens. Mais aujourd’hui, ils les font disparaître de leurs inventaires en ligne, que ce soit en Hongrie ou en Estonie. Les compositions et informations nutritionnelles des biscuits Oréo que l’on peut trouver sur internet n’ont rien à voir avec les informations que l’on trouve sur les boîtes, achetées en supermarché. L’ancienne version contient plus d’huile de palme et deux fois plus de graisses saturées que la nouvelle, qui contient les mêmes informations nutritionnelles que les gâteaux vendus dans les autres pays européens.

La société Mondelez confirme que ses biscuits Oréo vendus en Hongrie et en Estonie ne contiennent désormais plus d’huile de palme.

« Oréo a été complètement repensé, et cela s’est terminé fin 2020. Nous avons réduit de beaucoup l’utilisation d’huile de palme et avons introduit de l’huile de colza. On peut le lire sur la boîte. Ces changements faits, nous sommes en train de changer la mise en rayon, de mettre à jour les informations qui sont mises à disposition des client.e.s au moment de l’achat », a précisé un.e porte parole de la société.

Même histoire pour les chips Dorito’s goût fromage, produites par la multinationale Pepsico, et vendues à travers tout le continent. Les chips sont frites avec des huiles de maïs, de colza ou de tournesol, ou les trois à la fois.

Mais en Estonie, les paquets de chips que nous avons achetés ne racontent pas la même histoire. Pour deux, achetés dans deux magasins différents, on peut lire que l’huile utilisée est de maïs. Mais chez deux autres grands distributeurs, les informations nutritionnelles disponibles en ligne indiquent que de l’huile de palme a été utilisée, avec de l’huile de maïs.



Pepsico Estonie se justifie en expliquant que depuis 2018 ils importent les chips depuis la même usine de Turquie. Elle ajoute que le produit ne contient pas d’huile de palme et qu’ils ne comprennent pas pourquoi les informations disponibles en lignes disent l’inverse.

“Nos chips Dorito’s vendues en Estonie sont fabriquées avec de l’huile de maïs et ont le même profil nutritionnel que les produits des autres régions. Ces dernières années, nous avons retravaillé notre ligne de produits sur le territoire européen, pour utiliser des huiles moins chargées en graisses saturées, comme l’huile de maïs », a expliqué un.e porte-parole.

Quant à la liste d’ingrédients de la pizza surgelée vendue sous le nom « Dr Oetker Ristorante Prosciutto », nous avons trouvé qu’elle ne différait pas ou si peu dans les 11 pays où la pizza était disponible, à l’Est ou à l’Ouest du continent.

Mais ce n’était pas le cas d’une autre pizza de la même marque, Dr Oetker’s. La « Feliciana Prosciutto and Pesto », achetée en Bulgarie, qui ne ressemble pas à la « Ristorante Prosciutto » et ce n’est pas juste le pesto qui change. Alors que la précédente pizza avait de l’huile d’olive, la deuxième contient de l’huile de palme. La Feliciana n’est vendue qu’en Pologne, en Bulgarie, en Croatie, en Slovénie, en Hongrie, en Roumanie, en Lituanie en Slovaquie en République Tchèque et en Russie.

La société Dr Oetker explique qu’elle utilise l’huile de palme pour des raisons « technologiques (pour fabriquer la pâte et assurer sa croustillance) » et que l’huile de palme entre dans la composition de plusieurs autres pizzas, comme la Casa di Mama et la Big Americans. Deux pizzas qui peuvent être achetées dans les rayons des supermarchés d’Europe de l’Ouest.

S’adapter aux consommateurs

Les fabricants de produits alimentaires refusent souvent d’admettre leurs doubles standards et rejettent les accusations de tromper les consommateurs. Ils justifient leurs pratiques en indiquant vouloir adapter leurs offres aux différentes cultures et préférences de consommation dans les pays où il placent leurs produits. Si cela pourrait être entendable pour le sucre, les huiles sont quant à elles rendues insipides avant d’être parfumées.

Les sociétés soulignent également la spécificité de la demande locale dans les marchés Est-européens, où les consommateur.rices peuvent également se fournir ailleurs.

Les représentants des sociétés alimentaires qui appliquent deux standards de qualité contestent la validité des plaintes des États membres et tentent de minimiser le problème, en expliquant qu’il n’y a pas d’impact direct sur la santé des consommateurs. Ils attirent également l’attention sur le choix de la méthodologie utilisé pour tester les produits et sur la comparabilité relative des résultats.

Alicja Michałowska, avocate de la chancellerie du droit alimentaire basée à Varsovie critique par exemple la différence des ingrédients. « Je pense que la question de remplacer l’huile de colza par l’huile de palme est un changement qualitatif qui ne devrait pas être introduit dans la comparaison. Parce que ce n’est pas quelque chose qui oriente le choix des consommateur.rices », dit-elle. « Je n’ai jamais consulté d’étude dans laquelle des consommateurs.rices préféraient le goût de l’huile de palme par rapport à d’autres huiles. Voilà qui est, aux yeux de la loi, un changement en qualité ».
 
Joanna Wosinska, de la fondation Pro-Test de Varsovie (qui conduit des tests indépendants), explique que la directive européenne concernant le double standard n’a pas eu le succès escompté. « Il y a eu beaucoup de lobbying de la part des fabricants quand la Commission a pris les choses en main », dit-elle. « Il y avait un vide juridique dans le texte de la directive, ça pouvait permettre de garder des différences dans les compositions de produits identiques, venus sous le même nom, avec les mêmes packagings, dans différents pays. L’inconvénient de la directive, c’est que le consommateur.rice doit lui même ou elle même apporter la preuve d’avoir été floué.e par un double standard de qualité. C’est évident que personne n’est en mesure de porter devant une cours de justice, un combat portant sur un paquet de biscuits ».

Concernant la nourriture, les préférences des consommateur.ices c’est le mantra des fabricants, ajoute Joanna Wosinkska. « Mais il est dur d’imaginer que les Polonais.e.s ou les Tchèques ont envie de manger des produits de moins bonne qualité que les autres. Ce n’est pas ça, les préférences des consommateur.ices ».

Isabel Januário, du département des Sciences de l’Université de Lisbonne, ne pense aps que les différences de composition des produits vendus à travers l’Europe s’expliquent uniquement par l’envie des industriels de s’adapter aux goûts des consommateur.ices. « Je pense que la raison principale de ces différences est économique. Les sociétés tentent de faire du profit en tirant vers le bas les coût des matières premières et le prix des produits », explique-t-elle.

Sucre ou sirop de glucose ?

Les fabricants expliquent depuis de nombreuses années que les différences dans les compositions des produits alimentaires s’expliquent par la différence dans les attentes et les goûts de leurs différentes cibles. Mais le prix des matières premières, bien sûr, entre aussi en ligne de compte.

Concernant les boissons gazeuses, pour fabriquer le Coca-Cola, le Fanta et le Sprite, tous produits par Coca Cola Company, on utilise des sucres différents à l’Ouest ou à l’Est de l’Europe. Dans les pays occidentaux, les boissons contiennent du sucre ainsi que des édulcorants artificiels. En Europe de l’Est, le sucre est remplacé par un ersatz : le sirop de glucose.

« Les édulcorants nutritifs sont facilement interchangeables parce qu’ils ont une composition similaires, ils contiennent presque le même nombre de calories et sont régulés de la même façon dans la législation européenne », explique un.e porte parole de Coca Cola.

“Les édulcorants locaux que nous utilisons ont été sélectionnés parce qu’ils correspondent à une réalité locale, une disponibilité régionale des ingrédients. Trouver nos ingrédients localement, nous permet d’assurer la production sur un territoire donné, soutenir l’économie locale et maintenir une disponibilité et une uniformité des goûts de nos boissons ».

Seulement, les boissons rivales Pepsi et 7Up, fabriquées par Pepsico, utilisent les mêmes édulcorants que ce soit à l’Ouest ou à l’Est de l’Europe.

Les cornets Magnum classiques contiennent du sucre, du sirop de glucose et du sirop de glucose-fructose dans 12 pays sur 13. En Pologne, par contre, le seul édulcorant utilisé est le sirop de glucose.

L’huile de palme est aux huiles végétales ce que le sirop de glucose fructose est au sucre.

« Le sucre ordinaire s’obtient avec de la betterave ou de la canne à sucre. Cela ne se cultive pas n’importe où. Le sirop de glucose ou de fructose quant à lui se fabrique avec du maïs, de la pomme de terre ou du blé. En gros, vous prenez n’importe quel amidon local, ou celui qui est le moins cher du marché, et vous le transformé en ersatz de sucre », explique Ivar Nilsson de l’ONG suédoise Äkta Vara.

Mais le goût en pâtit-il ? Certain.e.s le pensent. En 2011, une étude de l’Université d’état du Michigan, a fait goûter à un panel de 99 personnes un yaourt contenant soit du sucre, soit du sirop de glucose-fructose. Ils et elles ont préféré celui contenant du sucre. En général, il existe un lien entre le sucre et la prévalence du surpoids et de l’obésité. Chez les enfants, le surpoids est devenu une pandémie mondiale, selon les scientifiques. Dans les pays européens, 17,9% des enfants de maternelle étaient en surpoids ou en obésité sur la période 2006-2016. Lorsque l’on parle de nutrition, cependant, il n’existe pas de consensus scientifique sur le type de sucre qui est meilleur ou le pire pour la santé. Mais les édulcorants ont tous des taux de sucrosité différents. Le glucose, par exemple est 60% aussi sucré que le sucre « normal », le fructose est plus sucré que le sucre. Selon les mélanges, il faut un peu moins un peu plus de glucose ou de fructose pour obtenir les mêmes taux de sucre, que le sucre.

« Les boissons sucrées peuvent contenir du sucre du canne ou de betterave, des édulcorants dérivés du maïs ou bien un mélange de tout cela », nous a dit Coca Cola. « Par exemple, c’est le cas de notre boisson originale Coca Cola, qui est disponible dans 200 pays à travers le monde. Elle contient les mêmes ingrédients et peut être sucrée soit avec du sucre de canne, de betterave, des dérivés de maïs ou un mélange des trois. Tout cela pour fabriquer le même goût. Les édulcorants à base de maïs sont utilisés à la marge, par rapport au sucre ».

Selon un lobby européen de fabricants d’amidon, Starch Europe, la prévalence de l’utilisation de sirop de glucose-fructose dans les États membres de l’Europe ne prouve pas qu’il existe de double standards alimentaires. Selon eux, les différents choix en matière d’édulcorants, sur les différents marchés, s’explique par deux choses : l’abondance de maïs en Europe de l’Est déjà, dont on tire le sirop de glucose. Et les conséquences du régime européen de quotas sur le sucre, qui s’est terminé en 2017. Les États membres de l’Europe de l’Est, avaient eu le droit de produire plus de quantités de sirop de glucose que les États occidentaux.

De grosses différences, mais pas partout

Qu’il s’agisse ou non de différence de qualité, il existe un vrai schéma de différences Est/Ouest s’agissant de l’utilisation du sirop de glucose au lieu du sucre, et un plus faible schéma concernant l’huile de palme et les autres huiles végétales.

Des indications suggèrent d’autres schémas géographiques. Par exemple, les produits de notre panier qui contiennent du chocolat, sont de meilleure qualité au Portugal, plutôt qu’ailleurs. Les glaces Cornetto vendues au Portugal sont les seules, sur neuf pays, qui contiennent du beurre de cacao. Concernant les tablettes Côte d’Or (que l’on peut acheter dans neuf pays), ou les biscuits Mikado, ils contiennent également plus de beurre de cacao au Portugal que dans les autres pays où ils sont vendus.

Les boissons Fanta n’ont pas les mêmes taux de jus d’orange ou de citron. Ces différences suivent une logique Sud/Nord plutôt que Ouest/Est. Dans les pays du sud de l’Europe, la Grèce, l’Italie, la France, l’Espagne, le Portugal, le Fanta contient plus de jus de fruits (8 à 20%) que dans les pays du Nord ou de l’Est (4 à 6%).

La société Coca Cola qui produit les boissons Fanta explique que les différences de recettes sont dues à des préférences locales, des questions d’approvisionnement, de régulations locales, et à des volontés de la société de réduire les taux de sucre ajouté.

“Toutes nos recettes Fanta Orange contiennent du jus d’orange, et même si les quantités peuvent varier d’un pays à l’autre à cause de régulations locales, les produits restent comparables dans tous les pays », explique la société.

Mais pour la plupart des aliments de notre panier, la différence de composition ne suit pas un schéma géographique particulier.

Par exemple, la quantité de poisson dans les bâtonnets de poisson pané Captain Igloo/Findus peuvent varier de 58 à 65% dans les 7 pays où l’on peut les acheter. Sans biais géographique particulier. Rien n’indique que les Slovaques aient moins de poisson que les autres dans leurs bâtonnets, comme le craignait Jean-Claude Juncker en 2017.

La quantité de viande dans un bocal de sauce bolognaise Barilla, peut passer de 16 à 19% suivant les pays, 14, où on l’achète. Le taux de noisettes dans une barre de chocolat noisette Milka peut varier de 17 à 20% à travers 11 pays. Mais là aussi, pas de biais géographique.


Photo: Anne Jo Lexander

Parfois, les marques distributeur peuvent connaître de fortes disparités dans la composition de leurs produits. La confiture de framboise maison Lidl, vendue sous le nom Maribel, par exemple. Nous l’avons comparée sur six pays différents. Le taux de fruits, de sucre ou d’eau diffère d’un pays à l’autre. Certaines versions locales contiennent plus d’additifs que les autres.

Quand on les interroge sur ces différences, Lidl répond que les confitures Maribel à la framboise sont les mêmes partout. Quand nous leur avons envoyé les photos de différents pots achetés en Belgique, en Suède ou en Pologne, montrant les différentes informations sur les étiquettes, Lidl était bien été obligée d’admettre qu’il s’agissait de produits différents.

“La « Confiture Maribel extra à la framboise » ont une liste d’ingrédients uniformes dans tous les pays testés, dont la Suède et la Pologne. Les étiquettes de confiture que vous nous avez envoyées pour la Suède et la Pologne sont d’autres produits de la marque Maribel », a répondu un.e représentant.e de la société.

Cependant les trois pots contenaient la même indication : « Confiture de framboise Maribel ».

Des différences persistantes

Parmi les produits que nous avons comparés dans les différents pays, plus de la moitié contenaient des produits différents, des quantités d’ingrédients différentes ou des valeurs nutritionnelles différentes. Seule une poignée de produits, comme le Ketchup Heinz ou le Nutella, contenaient exactement les mêmes compositions d’un pays à l’autre.

Après le discours de Jean-Claude Juncker en 2017, la Commission européenne a demandé au Centre commun de recherche européen (JRC) de comparer des produits à travers toute l’Europe, en utilisant la même méthode de test.

Son rapport est sorti en 2019. Sur les 100 produits comparés, l’étude a démontré que 33% avaient une composition uniforme sur tout le territoire, et qu’une majorité, donc, était différente. Cependant, l’étude déclare que les tests « infirmaient l’existence d’un schéma particulier de différences géographiques ».

Les produits vendus avec la même étiquette ne devraient-ils pas contenir les mêmes ingrédients ou les mêmes valeurs nutritionnelles ?

« En principe, je dirais oui, la même marque devrait vendre exactement le même produit en Europe », explique Isabel Januário de l’Université de Lisbonne. « Je ne m’attends pas à ce que ma boisson gazeuse achetée au Portugal soit différente de la cannette achetée en Espagne ou en France. C’est ce qui trompe les consommateur.rices, surtout que ces dernier.e.s ont rarement l’opportunité de faire la comparaison entre différents marchés ».

Selon la directive de l’UE sur les pratiques commerciales déloyales, les sociétés ont l’interdiction de mettre en oeuvre des pratiques commerciales trompeuses ou agressives qui pourraient contrevenir aux intérêts économiques des consommateur.rices. À la suite de la discussion sur le double standard alimentaire en Europe, cette directive a été amendée en 2019 et une disposition spécifique a été ajoutée concernant le double standard.

La loi européenne stipule à présent qu’il est commercialement trompeur de vendre un produit identique dans les pays européens, avec des « différences significatives dans composition ou les caractéristiques du produits », sauf si « ceux-ci se justifient par des facteurs légitimes et objectifs ».

L’amendement, qui apporte plus de clarté à cette question, va entrer en application en Europe dès le 28 mai 2022, et il rendra la tâche plus facile pour les autorités nationales. Car ce sont elles qui peuvent évaluer, au cas par cas, si les différences entre les produits vendus comme identiques sont suffisantes, si le ou la consommateur.rice sachant ces différences, aurait choisi un produit différent.

« La loi européenne a tendance à ne pas se mêler de la composition des produits. Concernant les produits alimentaires, les fabricants doivent se conformer aux stricts codes de sûreté alimentaires prévus par la loi européenne. Ils ont le droit d’adapter leurs produits aux régulations locales, par exemple changer de méthode de production ou de matière première suivant leurs différents sites de production. Cependant, ils ne peuvent pas vendre ces produits différents sous le même nom », nous explique un.e fonctionnaire de la Commission européenne.

« Le vrai sujet, c’est le marketing uniforme de produits différents, pas tellement leur « qualité » en tant que telle, une notion relativement subjective et légalement indéterminée », ajoute le ou la fonctionnaire.

Biljana Borzan, une députée européenne du parti social démocrate, qui a co-écrit la résolution au Parlement européen en 2018 qui reconnaissait et déplorait l’existence d’un double standard européen, explique que c’est un sujet qui touche à la confiance des consommateurs.rices, sur le fait que des produits différents peuvent être vendus sous le même nom en Europe. Les consommateur.rices sont en droit d’attendre une qualité uniforme sur un produit de marque, quel que soit le pays où il a été acheté ou fabriqué, dit-elle.

Mais comme dans toute régulation européenne, le diable se cache dans les détails. Le Cornetto polonais fabriqué avec de l’huile de palme a « des différences significatives dans composition ou les caractéristiques du produits » avec le Cornetto portugais qui contient quand à lui du beurre de cacao et de la crème. Mais ça marche dans les deux sens. Tout est une question d’interprétation.
 
Et le prix du sucre ou la disponibilité d’une grande quantité d’amidon de maïs peuvent être un « facteur légitime et objectif » pour privilégier l’utilisation de sirop de glucose-fructose dans le Coca Cola hongrois, alors qu’en Autriche on utilise du sucre.

Un jour ou l’autre, toutes les interprétations pourront se glisser dans ces régulations et les rendre caduques, si d’aventure des consommateur.rices se lançaient dans la bataille judiciaire pour un paquet de biscuits