Première leçon de la crise : nous nous ressemblons plus que nous ne le pensons

Diário de Notícias
The crowded beach of Carcavelos, Lisbon, on Wednesday, 11 March

Les plages de Carcavelos, à vingt minutes de route de la capitale portugaise, sont devenues noires de monde le jour même où l’OMS a déclaré que l’épidémie de Covid-19 constituait une « pandémie ». En Grèce, les plages se sont remplies pendant le week-end. Et en Norvège, le gouvernement a dû menacer de mobiliser l’armée pour que les gens quittent leurs chalets à la montagne – autre endroit très prisé pour passer un week-end au vert.

Les rues des grandes villes – Lisbonne, Athènes, Oslo –, elles, sont (restés) quasi-vides. Peu importe que la religion dominante soit le catholicisme, le christianisme orthodoxe ou le protestantisme ; peu importe que nous soyons à l’ouest, à l’est ou dans le nord de l’Europe, que le PIB par tête soit élevé ou bas : la menace de la maladie nous a poussés à une distanciation sociale sans précédent.

Mais comme les Italiens, il nous a fallu du temps pour nous habituer à cette vie qui ressemble à une vie en temps de guerre. À Piacenza, ville du nord de l’Italie, 24 personnes sont mortes du Covid-19 en une journée, samedi 14 mars.

Une chose se répand plus vite que le virus: la peur. De nombreux Etats ont fermé leurs frontières, et ceux qui ne l’ont pas fait sont pressés de le faire par ceux qui pensent que cela permettra de contrôler la pandémie.

Quasiment tous les Etats européens ont décidé de suspendre les cours et conseillent de s’isoler volontairement. Beaucoup ont fermé les cafés, les bars et les restaurants, les barbiers et les centres commerciaux. À Lisbonne, les vitrines des boulangeries affichent des gâteaux bien rangés et des tables vides. Dans les rues, les piétons portent des masques et, de plus en plus, des gants. Quelques personnes sortent faire de l’exercice. Il y a ceux qui vont au supermarché – et dans les pharmacies, avec leur nouvelles files d’attentes bien ordonnées et le mètre réglementaire pour séparer chaque client attendant son tour. Il y a ceux qui décident de ne pas sortir.

Cette nouvelle normalité a vu le jour en peu de temps. Mais mercredi après-midi, ce 11 mars, alors que de nombreux Portugais avaient décidé de se confiner, une nouvelle est venue provoquer l’indignation : les plages proches de Lisbonne étaient pleines. Les températures estivales de ce milieu de printemps et le futur incertain qui s’annonçait avaient achevé de convaincre des milliers de personnes d’aller bronzer et plonger dans l’Atlantique.

Leur comportement a provoqué l’émoi sur les réseaux sociaux, où les plagistes ont vite été taxés d’irresponsables. Des photomontages montrant côte-à-cote les plages bondées de Carcavelos et la place Saint-Marc à Venise – vide – ont vu le jour, accompagnés du rituel commentaire : « Il n’y a que dans ce pays qu’on voit des choses pareilles… ».

Mais en réalité, il n’y a pas qu’au Portugal que les consignes officielles ont été ignorées.

Samedi 14 mars, quelques jours seulement après la fermeture des bars, restaurants, cantines et centres commerciaux par les autorités grecques, un soleil aguicheur est venu briller sur la mer Égée et des milliers d’Athéniens sont allés se masser sur les plages. À Asteras Vouliagmeni, au sud d’Athènes, le personnel de sécurité d’une plage à entrée payante a dû disperser la foule qui tentait de pénétrer sur la plage déjà bondée.

Les réseaux sociaux grecs, comme les portugais, ont pointé du doigt les coupables. Et le Premier ministre grec (de centre-droit) a annoncé la même chose que le ministre de la Santé portugais (de centre-gauche) : « Je viens de demander que toutes les plages et stations de ski soient fermées à partir de demain. La situation est grave et demande de la responsabilité de la part de chacun. Nous devons éviter les lieux publics qui réunissent du monde. Profitons de cette occasion. #restonsàlamaison » a tweeté Kyriakos Mitsotakis.

Le ton est sensiblement le même à la Une de Aftenposten, le plus grand journal d’Oslo (Norvège). « Le gouvernement interdit de se rendre dans un chalet en dehors de sa commune » titrait le quotidien dimanche. La décision a été prise lorsqu’il est apparu que les Norvégiens étaient dans le même état d’esprit qu’à Athènes et à Lisbonne. Avec la mise en place de règles incitant les gens à se confiner préventivement, de nombreux Norvégiens ont décidé de quitter les villes et ont pris la route de la montagne, où il n’est pas rare pour eux de posséder une maison de vacances. Immédiatement, les réseaux sociaux ont dénoncé les « chalets de la honte » (hytteskam en norvégien).

Un groupe de communes situées en montagne, où résident 21 000 personnes, a vu son nombre d’habitants quasiment tripler vendredi soir, pour atteindre 55 000. Au cours du week-end, deux cas de coronavirus ont été détectés dans l’une de ces communes – les deux étaient des personnes venues se confiner dans leur résidence secondaire. Les autorités ont commencé à utiliser la géolocalisation via les cartes SIM des téléphones portables pour identifier ceux qui avaient quitté les villes, rompant ainsi l’isolement recommandé.

« Si une épidémie de coronavirus se déclare ici, le système de veille [sanitaire] que nous avons mis en place s’effondrerait complètement », a déclaré l’un des maires des communes concernées. « Vous pensiez peut-être : « Je vais juste rester dans mon chalet » ? Mais si par malchance vous vous coupez avec un couteau de cuisine ou vous vous cassez un bras, l’un de nos médecins devra prendre de son temps pour vous aider », explique le médecin en chef de Hjelmeland, une municipalité côtière. Plus de la moitié des personnes ayant appelé les numéros d’urgence samedi étaient des citadins partis dans leurs chalets à la campagne.

De nouveau, les réseaux sociaux ont désigné les coupables – avec cette fois une touche de flegme nordique : « Donc, ils envisagent d’envoyer l’armée pour renvoyer les gens chez eux. Il faudrait brûler les chalets de ces idiots après leur départ. #chaletdelahonte #coronavirus #égoïstes ».

C’est peut-être l’une des premières leçons du confinement imposé par le Covid-19, et c’est une bonne leçon. L’une de celles qui viennent démentir les racistes et les nationalistes : dans nos merveilleuses qualités aussi bien que dans nos plus incorrigibles défauts, en train de prendre le soleil sur les plages de la mer Égée ou de randonner le long d’un fjord norvégien, nous nous ressemblons plus que nous le pensons.