Pascal Canfin, Président de la Commission Environnement du Parlement européen : « les lobbys se cachent derrière chaque exemption de taxes »

Pascal Canfin, Member of the European Parliament,
Mathieu Cugnot/European Union 2020 - Source : EP
EP Plenary session - Council and Commission statements - Coronavirus outbreak, state of play and ensuring a coordinated European response to the health, economic and social impact

Qu’est en train de devenir « la taxonomie verte » avec les plans de sauvegardes du Covid-19 ?

Je me bats pour que ces conditions figurent dans les lignes directrices du plan d’aides d’état que la Commission va présenter lundi (le 11 mai 2020), afin d’avoir un plan détaillé, public et transparent, sur l’objectif de la neutralité climatique.

Nous verrons ce qu’il en sera lundi, ce sera sans doute un élément distinctif du fonds de relance. C’est ma première bataille, et ensuite nous pourrons nous concentrer sur le plan de relance en lui-même.

Pourquoi personne ne veut entendre parler de la suppression progressive des subventions aux énergies fossiles ?

Comme on dit en France, « dans chaque niche il y a un chien qui mord ». Ce qui signifie que les lobbys se cachent derrière chaque exemption de taxes. Donc ce n’est pas vraiment les énergies fossiles que l’on subventionne. Mais les lobbys qui les utilisent. Donc lundi on parlera avec les agriculteurs.trices, mardi avec les transporteurs.trices routiers.eres, et mercredi ce sera le tour de quelqu’un d’autre.

Donc, quand on dit que l’on subventionne le secteur des énergies fossiles, en réalité nous réduisons les taxes pour baisser l’empreinte énergétique des secteurs qui ont pu négocier avec nous. Nous ne subventionnons donc pas Total, mais les agriculteurs.

Cela montre combien il est difficile pour les gouvernements de réduire ces subventions, parce qu’il ne s’agit pas de négocier avec Total, Shell ou BP… mais, pour prendre l’exemple de la France, de négocier avec les agriculteurs.trices ou les sociétés de transport routier, qui ont la capacité de bloquer le pays. Nous avons vécu cela avec l’épisode des « Bonnets rouges », au moment où le gouvernement tentait justement de mettre un terme aux aides fiscales allouées aux transporteurs.trices.

C’est donc vraiment important en effet de rester transparent.e.s sur les subventions. Mais je crois également que nous devons signer des accords de transition verte avec les secteurs concernés (les taxis, les agriculteurs.trices, les camionneurs.euses, etc…) pour lequels la rentabilité de leur modèle économique dépend directement de ces subventions, et donc du contribuable.

Mais cette bataille sur les accords de transition verte, devrait-elle se jouer à l’échelle nationale ou plutôt européenne, pour éviter justement une concurrence déloyale sur les marchés intérieurs ?

Exactement ! Le niveau européen : pour avoir des conditions de concurrence équitables. Les aides d’état, une subvention par excellence, sont problématiques si elles n’entrent pas dans la taxonomie verte. La Commission anticipe que 2 billions d’euros en aides d’états lui seront notifiés. Si elles n’ont rien à voir avec le Green Deal ou la neutralité climatique, en bref si elles ne supposent que de « réduire les émissions de CO2 », alors il ne s’agit que de green-washing. Donc, ce dont nous avons besoin, c’est de les mettre en lien avec la neutralité climatique. Il existe une quantité phénoménales de subventions, c’est un signal fort. Mais si le Green Deal n’est une pas une condition sine qua non pour leurs attributions, alors c’est l’inverse : c’est un signal fortement négatif qui est envoyé.

Comment résoudre le problème fondamental de l’Europe concernant les taxes : faut-il forcément passer par l’unanimité, comme ce qui est arrivé avec la directive sur la taxation de l’énergie ? Car d’un autre côté, certains gouvernements évoquent une baisse de compétitivité, s’ils agissent seuls. Comment résoudre ce dilemme ?

La première solution serait de passer de l’unanimité à la majorité qualifiée. Pour la seconde question, je dis que parfois c’est juste une excuse que l’on se donne. Regardez la Suède, ils ont une taxe carbone dépassant les 100 euros, ils sont encore dans le marché unique et toujours pour les accords en faveur du marché. Cela prouve qu’il est possible d’agir au niveau national, même avec l’unanimité, tout en faisant front pour les taxes vertes !

À court terme, nous avons un bon outil avec le marché du système d’échange de quota d’émissions (ETS), car mettre en place une taxation carbone au travers des ETS, c’est exactement l’inverse d’une subvention. C’est ce qu’il nous reste à faire pour avoir une taxe carbone juste et équitable pour capter les externalités.

Et puis, il est aussi question de cadre règlementaire. L’Europe est faible sur les questions de taxes, mais très fortes sur les normes. Ce que l’Union Européenne a fait depuis des décennies, c’est de mettre en place des normes, sur l’efficacité énergétique, sur les émissions de CO2 des voitures. L’Europe est très forte pour cela à cause de ses traités mais aussi parce qu’elle a commencé avec le marché unique. Voilà pourquoi à travers les normes vous pouvez obtenir des résultats presque équivalents sur le climat que la mise en place de taxes. Voir même de meilleurs résultats, je crois.

Pour citer un exemple : les rénovations et les normes d’efficacité énergétiques sur les bâtiments neufs. Si vous enlevez ces normes en disant que vous allez plutôt instaurer une taxe, alors l’équivalent du niveau de taxes que vous devriez avoir, en lieu et place de la norme, serait de plus de 1000 euros par tonne de CO2. Cela montre que quand on parle de rénovation, d’efficacité énergétique et d’isolation, les normes restent bien plus efficaces que les taxes. Donc on devrait arrêter de se concentrer uniquement sur les taxes sur les énergies fossiles, mais considérer aussi les normes.

Comment peut-on justifier la délivrance gratuites des ETS ?

Je crois que l’on devrait réduire drastiquement ces délivrances gratuites et en parallèle ajouter un mécanisme d’ajustement carbone à la frontière pour être sûr.e.s que nous transformons nos industries très émissives en CO2 (acier, ciment, industrie chimique) en les protégeant aussi de la concurrence extérieure.

Mais l’industrie chimique répond « nous allons perdre le marché mondial », au cas où l’on arrêtait de leur offrir gratuitement les ETS. Alors nous devrons nous délocaliser notre production en dehors du marché unique, ajoute-t-elle. Que répondre à cela ?

La logique du Green Deal est la suivante : quand nous seront obligé.e.s de trouver le moyen de produire sans émettre de CO2, alors vous irez de l’avant et pourrez exporter d’avantage. Voilà ce que j’ai entendu chez les industriels. Nous devons, comme d’habitude, de signer un contrat de transition avec les entreprises qui y perdent, puis supprimer progressivement ces quotas gratuits. Cela laisse à l’industrie un certain temps pour s’en passer.

On entend de plus en plus d’économistes, mais aussi d’activistes climatiques, que ce mécanisme de frontière carbone ne marchera jamais, à cause de la charge administrative qu’il implique. Cela implique également un manque de contrôle sur la façon dont un pays tiers fabrique ses produits. D’un point de vue légal, cela pourrait aussi constituer une discrimination, devant l’Organisation mondiale du commerce. Comment répondez-vous à ces critiques ?

Si je prends l’acier. Nous savons parfaitement bien d’où vient notre acier, parce qu’on a déjà ouvert un dossier de responsabilité. Quand on achète de l’acier chinois, il peut être de bonne ou de mauvaise qualité. On sait déjà tout ça. Donc, il sera très facile de calculer les émissions de carbone en se basant sur ces informations. Nous devrions donc commencer avec l’industrie lourde, plus facile à tracer.

Ensuite, il faudra passer à la phase deux, qui est techniquement plus compliquée, comme la fabrication de haut niveau. Mais compliqué ne veut pas dire impossible.

Le mécanisme de frontière carbone a été pensé dans UN SEUL BUT : ÉVITER les fuites de CO2. De nombreuses études montrent qu’il n’y a qu’une ou deux industries susceptibles de connaître des fuites de CO2, il s’agit de l’industrie lourde. Donc le but est de protéger les 5,6 secteurs économiques qui restent très dépendants du CO2, et chez qui il pourrait y avoir un risque de délocalisation. Donc, si nous sommes capables de trouver une solution pour ces secteurs là, alors nous pourrions couvrir presque 90% des cas. Il est donc inutile de couvrir tous les secteurs qui bénéficient des ETS.

Concernant l’objection que pourrait avoir l’Organisation mondiale du commerce : si le mécanisme reste lié aux ETS – s’il en est le côté pile – alors les prix resteront les mêmes qu’en dehors de la zone, ce qui est compatible. Bien sûr, nous devrons prendre en compte la délivrance gratuites des ETS… ce n’est pas juste une question de prix, mais aussi de volumes de tonnes de CO2. Si nous appliquons ces deux critères – le prix et le volume – il faut garder le même calcul pour l’import.

Comment expliquez-vous que c’est précisément ces industries lourdes, pour qui le mécanisme de frontière carbone serait mis en place, qui s’y opposent le plus farouchement ?

Nous ne disposons pas des mêmes informations, sur ce point.

C’est ce qui figure dans les consultations publiques que la Commission a ouverte avec les principales parties-prenantes. Si vous lisez les commentaires, elles s’y opposent toutes.

Les aciéries et l’industrie chimiques sont pour.

Et bien oui, elles sont en faveur d’un mécanisme d’ajustement de la frontière carbone, mais elles veulent garder aussi les délivrances gratuites d’ETS.

Oui, mais elles ne pourront pas avoir les deux. Elles le savent, donc il est plus question de comment mettre en place la chose, que de la remettre en question son intérêt.

Quel est le calendrier des prochains mois ?

Il y aura sans doute deux batailles : la première sera de trouver une majorité qualifiée et de se diriger vers un régime fiscal au niveau européen. En regardant la situation de façon pragmatique, je me dis qu’il est bien plus efficace de multiplier les normes sur les émissions de CO2 et les énergies renouvelables, parce que l’Union européenne est très bien équipée et il y aurait déjà une majorité qualifiée, au lieu du parcours habituel : se battre pour obtenir l’unanimité puis une majorité qualifiée. Et aussi parce qu’en terme de résultats, l’outil fiscal n’est pas le plus efficace.

Regardez ce qu’il s’est passé avec les gilets jaunes. Si vous instaurez une taxe carbone sur les particuliers, qui paie au final ? Les automobilistes. Si au lieu de ça, vous mettez en place une norme sur l’industrie automobile pour obtenir des véhicules plus efficaces, qui paiera la note ? L’industrie. Cette approche est bien plus juste et transparente.

Mais tous les gouvernements sont légalement obligés d’en finir avec les subventions aux énergies fossiles.

Bien sûr je ne m’y oppose pas. Mais juste en considérant les outils disponibles, je partirais dans l’autre direction.

Le Green Deal a été présenté comme « l’équivalent des premiers pas sur la lune de l’Europe ». Qu’en pensez-vous.

Ils et elles sont en train de construire la rampe de lancement, mais personne n’a encore mis un pied sur la lune.