Jörg Rothermel, association allemande des industries à haute intensité énergétique (EID) : « nous devons trouver de nouveaux outils »

Photo: © VCI/Darchinger

Les états membres de l’Union européenne accorde un large éventail d’avantages fiscaux au secteur du transport routier et aux industries à haute intensité énergétique. Ne serait-il pas mieux d’harmoniser ces derniers au niveau européen en réformant la Directive sur la taxation de l’énergie, ce qui permettrait d’économiser ces subventions ?

En effet, ce serait très utile de créer un équilibre concurrentiel avec une taxation sur l’énergie au niveau européen, et qui établirait une règle pour toute l’Union Européenne. Seulement, l’UE n’a aucune compétence concernant la loi fiscale, même lorsqu’il s’agit de taxer les énergies. Il doit y avoir consensus entre les 27 états membres.

Tout cela dépend de ce que vous voulez en faire. La première proposition de réforme, en 2015, n’a pas échoué à cause de la taxation de l’énergie, mais plutôt à cause de la taxe diesel et d’autres droits d’accises. C’est toujours une histoire d’états membres qui ne veulent pas abandonner leurs règles individuelles. Et, si c’est nécessaire, il se peut que devions arranger certains gouvernements est-européens pour les convaincre de s’accorder. La première directive de taxation de l’énergie a duré 10 ans, la seconde a lamentablement échoué.

Image: Alexia Barakou

Les critiques affirment que l’échange de quotas d’émissions aux industries à haute intensité énergétique ne fait que maintenir le fonctionnement des usines préexistantes. Tout comme les permis d’émissions gratuits qui permettent de préserver le recours à des technologies obsolètes ?

Oui, c’est vrai que l’échange des quotas d’émissions est l’une des raisons pour laquelle on n’investit plus dans de nouvelles usines qui produisent beaucoup de gaz à effet de serre. Le parc industriel existant continue de fonctionner. Dans l’industrie chimique, personne ne construit de nouveaux craqueurs. Dans l’industrie du ciment, personne ne construit de nouvelles usines de ciment. Dans l’acier, personne ne construit de hauts fourneaux, qui pourraient fonctionner encore 20 ou 30 ans. L’échange de quotas d’émissions, s’il fonctionne avec des quantités toujours décroissantes comme le veut le concept, permettra que d’ici 15 ou 20 ans, de telles usines ne seraient plus du tout en exercice.

Cependant, s’il n’y a pas d’investissement dans de nouveaux procédés, c’est parce que nous ne pouvons pas encore travailler avec de façon économique. Nous sommes bien au courant des différentes technologies que nous pourrions utiliser afin de tendre à la neutralité climatique d’ici 2050. Mais ni les coûts des investissements ni les frais de fonctionnements liés à ces technologies ne permettrait à nos entreprises de rester compétitives sur le marché global. Mais ça n’a rien à voir avec les allocations gratuites de quotas. Elles sont là pour nous permettre de produire avec nos usines existantes, tout en restant compétitifs. Si le prix d’émission du CO2 montaient si hauts que les nouvelles technologies seraient rentabilisées, les produits deviendraient si chers qu’ils ne seraient plus compétitifs.

S’il ne s’agit que du marché européen, cela fonctionne avec de plus hauts tarifs d’émission de Co2, comme pour la production d’électricité, par exemple. C’est pourquoi, avec un prix de 25€ par tonne de CO2, nous avons déjà bien moins d’électricité produite à partir du charbon. Cela fonctionne parce qu’il n’existe pas de marché mondial de l’électricité.

Dans le cas des industries à haute intensité énergétique, par contre, le même processus ne mènerait qu’à la disparition de la production, qui se déplacerait ailleurs.

Mais il n’y a pas aucune preuve de cela, n’est-ce-pas ?

Bien sûr, il est impossible d’apporter de preuve claire de ce que j’avance, parce que nous avons tâché de l’empêcher en ayant recours aux allocations gratuites de quotas. Mais un phénomène est déjà en train de se produire : la fuite de l’investissement. Aujourd’hui, en Europe, on n’investit plus dans les industries à haute intensité énergétique, qui émettent beaucoup de gaz à effet de serre. Les échanges de quotas d’émissions sont sensés mener à une réduction des émissions et à la nécessité d’acheter de plus en plus de certificats, qui pourraient ensuite brouiller le bilan. On peut dès lors envisager que dans le long terme cela ne sera plus économiquement viable, c’est pour cela que quasiment personne ne choisit plus l’Europe pour investir.

Nous commençons tout juste à construire des usines pilotes avec des technologies décarbonnées. Ces dernières ne sont pas encore suffisamment abouties pour de très grandes usines. En outre, il n’y a pas assez d’électricité produite grâce aux énergies renouvelables pour les alimenter.

Est-ce qu’il ne serait pas plus logique de faire peser le coût global des certificats d’émissions aux produits fabriqués hors de l’UE, au prix de hautes émissions ? C’est à dire créer un ajustement carbone aux frontières, et mettre un terme en même temps aux allocations gratuites de quotas afin d’accélérer les investissements vers des productions plus en accord avec le climat ?

Si l’ajustement aux frontières devait réellement fonctionner, en principe oui, mais il faudrait aussi trouver une solution pour les exportations en dehors de l’UE. Ce deuxième point, pour nous, c’est ce qui doit être la priorité.

Image: Alexia Barakou

Si les importations de produits nocifs pour le climat sont minimisées par les douanes, le marché européen continuerait à se développer. N’est-ce pas suffisant pour vous ?

Non. Une taxe d’ajustement à la frontière ne permet pas de ralentir les importations, mais a seulement pour but de rendre les produits aussi chers que les européens. Cela ne fera que rétablir la compétitivité et empêcher une augmentation de l’importation. De plus, les entreprises Chinoises seront en mesure de certifier, par exemple, que leurs produits ont été fabriqués sans émission de CO2, grâce à l’électricité produite par l’hydraulique ou le nucléaire et en argumentant qu’ils pourraient porter plainte à l’OMC.

En outre, nous ne voyons comment cet ajustement à la frontière est censée fonctionner à la base. Avec l’acier et le ciment, c’est envisageable, mais avec tous les autres produits fabriqués avec des matériaux de base extrêmement polluants, comme les voitures ou les réfrigérateurs ? Comment imaginer qu’ils puisse y avoir compensation de quelque ordre que ce soit ? Il est évident que nous ne voulons pas abandonner la distribution de permis d’émissions gratuits, qui nous permet aujourd’hui de rester compétitifs, face à un système si incertain.

Nous ne voyons comment cet ajustement à la frontière est censée fonctionner à la base. Avec l’acier et le ciment, c’est envisageable, mais avec tous les autres produits fabriqués avec des matériaux de base extrêmement polluants, comme les voitures ou les réfrigérateurs ?

Ne serait-il pas préférable de dépenser ces subventions, qui n’ont pour l’heure servi qu’à maintenir un status-quo, directement sur ce qui est en fait plus utile, à savoir les technologies propres ?

Oui, c’est le sujet de nos discussion avec les politiques. Le système actuel n’est utile que pour maintenir la compétitivité. À présent, nous devons trouver de nouveaux outils. L’option des « contrats de différence » est intéressante. Et bien sûr que nous voulons aller dans cette direction, bien sûr que c’est notre seule perspective. La seule alternative c’est que nos systèmes de productions disparaissent du territoire européen, d’ici vingt ans.

Le système actuel n’est utile que pour maintenir la compétitivité. À présent, nous devons trouver de nouveaux outils.

Pourquoi cela devrait se passer ainsi ? Vous vivez correctement avec le système actuel. L’Union Européenne protège vos intérêts.

Pour l’instant, nous avons bénéficié d’un plan fiable qui court jusqu’à 2030, quand se terminera la quatrième étape de négociation. Mais tout cela être jeté aux oubliettes, si par exemple l’objectif de réduction est ramené à 55% au global, alors les réductions de quantités autorisées dans l’échange de droits d’émission passeraient de 2,3 % par an à 3 voire 4 %. Cela réduirait le budget global. D’ici 2030, nous pouvons toujours nous en sortir en réduisant les taxes de l’industries des énergies fossiles. Mais cela ne tiendra qu’un temps. Ensuite il faudra toucher aux matières premières des autres industries. Après 2030, nous nous attendons à de sévères goulets d’étranglements. Les certificats d’émission seront plus chers, les permis gratuits seront réduits et nous en viendrons au point où il ne sera plus rentable de faire fonctionner les usines. Voilà la réalité dans sa brutalité.

Ce n’est pas notre volonté, bien sûr. Nous voulons continuer de produire en Europe de l’acier, des produits chimiques et d’autres produits à haute intensité énergétique. Et ce dans les vingt années à venir. Mais pour y parvenir, nous devons établir un plan qui nous permette de nous métamorphoser sans nous écraser au préalable. Dans certaines industries, comme l’acier, nous pouvons agir rapidement, c’est d’ores et déjà possible de travailler avec l’hydrogène. Cela n’existe pas encore pour l’industrie chimique, par exemple il n’existe pas encore de craqueur électrique pour les produits chimiques de base. Nous n’en sommes qu’aux balbutiements.

Après 2030, nous nous attendons à de sévères goulets d’étranglements. Les certificats d’émission seront plus chers, les permis gratuits seront réduits et nous en viendrons au point où il ne sera plus rentable de faire fonctionner les usines. Voilà la réalité dans sa brutalité.

ACCÉDEZ À TOUTE L’ENQUÊTE