Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne : « nous n’enverrons pas de troupes dans les états membres »

Frans Timmermans, VP of the European Commission
Daina Le Lardic/European Union 2020
S&D event ' It's not goodbye it's au revoir '

Pendant la présentation du fond de relance baptisé « Next Generation EU », vous avez clairement stipulé que les investissements dans l’environnements et le numérique auraient la priorité dans les plans de sauvegardes mis en place par les états après la crise du Covid-19. Vous avez ajouté que ces plans seraient inclus dans les semestres européens et que le plan pour une transition juste, qui vise plus particulièrement les régions très dépendantes en énergies fossiles, passerait de 7,5 à 40 milliards d’euros.

Pourtant, il n’existe pas de garantie permettant à la Commission « d’exiger » que les états membres investissent dans les énergies vertes et PAS dans les énergies fossiles, d’autant plus que les propositions de relance permettent toujours aux pays de soutenir les énergies fossiles. Donc sans ces garanties, ces objectifs, ces deadlines et autres sanctions attachées aux plans de relances, comment espérez-vous que nous nous dirigions vers la neutralité climatique ?

Et bien, parce que les états membres vont devoir nous soumettre leurs plans. S’ils veulent recevoir des fonds de Next Generation EU, ils vont devoir présenter leurs plans et se soumettre aux critères que vous avez mentionnés. Et bien sûr, s’ils ne sont pas désireux de s’y plier, alors ils ne le feront pas et dans ce cas ils ne recevront pas de fonds de Next Generation EU.

Je crois qu’il y a bien plus de volonté d’aller dans cette direction là que ce que j’anticipais moi-même au coeur de la crise du coronavirus. Je crois que c’est majoritairement dû à la façon dont réagit le secteur privé, en particulièrement le secteur bancaire. Parce que la crainte est très très forte, surtout dans le secteur de l’énergie, d’investir dans des actifs qui seront bientôt en bout de course. Il y a donc un vrai élan vers Next Generation EU.

la crainte est très très forte, surtout dans le secteur de l’énergie, d’investir dans des actifs qui seront bientôt en bout de course

Je comprends bien votre question : comment les forcer à s’y soumettre ? Et bien, en vérité, il est presque impossible de forcer les états membres à quoi que ce soit dans tous les cas, et surtout pas sur des questions qui engagent à la fois la responsabilité partagée aux niveaux européen et national. Mais j’ai tendance à être optimiste. Il y aura beaucoup à discuter sur nos plans, sur les relations entre les prêts et les subventions, l’augmentation du cadre financier pluriannuel. J’anticipe tout cela, mais le principe même que nous nous relevions de la crise sur la base du Green Deal et de la numérisation, que nous nous bornions à un principe de « non préjudice » en soumettant les plans de sauvegarde, cela dépasse déjà mes espérances et ça n’a pas été contesté par les états membres.

Je sais qu’il existe des visions différentes entre les états membres, mais dans l’ensemble la compréhension dont nous avons besoin dans le cadre de cette crise sans oublier la crise climatique, celle qui nous permettra de nous diriger vers cette nouvelle économie, est bien plus forte que ce que j’anticipais. Peut être étais-je bien pessimiste, mais l’avantage d’être pessimiste c’est que q’en définitive soit vous avez eu raison, soit vous avez eu tort.

Image: Alexia Barakou

Une question particulièrement litigieuse ce sont les subventions, ou ce que vous appellerez peut-être le soutien à la consommation et l’exploration des énergies fossiles. Selon les chiffres de l’OCDE et de nombreux états membres, au moins 150 milliards d’euros sortent de la poche des contribuables et servent à augmenter la consommation et l’exploration des énergies fossiles. Pensez-vous qu’il soit possible de parvenir à un accord de réduction des émissions de gaz à effet-de-serre de 40% d’ici 2030 (voire 55% si de meilleurs objectifs sont acceptés) sans baisser progressivement, voir arrêter ces subventions ?

Non, mais elles vont baisser progressivement. On voit déjà arriver ce changement. Je pense que personne, au beau milieu de la crise ou après, ne pense que le charbon c’est le futur. C’est un fait, déjà. Et je pense que l’on va parvenir à baisser progressivement la production de charbon et plus vite que l’on pouvait l’anticiper. Ça va être intéressant de suivre la situation en Allemagne. Je prévois que cela ira bien plus vite qu’avant.

Personne, au beau milieu de la crise ou après, ne pense que le charbon c’est le futur

Et puis l’on parle beaucoup du secteur énergétique. J’ai participé à de nombreuses réunions ces deux derniers mois, et il est évident que beaucoup veulent rediriger leurs investissements. De plus, le secteur financier et bancaire leur mettent la pression car ils craignent que ces actifs deviennent trop risqués. Et d’ailleurs, l’investissement dans les énergies renouvelables est une meilleure décision commerciale, aujourd’hui. Nous sommes dans un tournant.

Le gaz naturel, c’est le secteur qui connait le changement le moins criant, à mon avis. Je crois que pour les pays qui dépendent beaucoup de charbon, le chemin vers les énergies renouvelables aura pour étape intermédiaire le gaz naturel. Si l’on pouvait accompagner cette démarche avec une stratégie qui permettrait aux futures installations de fonctionner aussi à l’hydrogène, alors on ferait au moins d’une pierre deux coups.

Je crois qu’il y a incompréhension : vous parlez d’investissements et d’exploration, mais ce dont nous parlons c’est de subventions massives qui prennent la formes d’exemptions de taxes ou de prix réduits d’électricité. Les états membres disposent de plusieurs moyens pour augmenter la consommation d’énergies fossile. Notre sensation c’est que cela crève les yeux et que pourtant personne ne veut en parler.

Encore une fois, je ne veux pas sembler trop optimiste, ce n’est pas ma nature, mais je dois dire que ces régimes de taxation sont remis en cause par presque tous les états membres. Tout le monde le reconsidère maintenant. Des choix plus efficaces devront être faits.

Le fait que certains états membres craignent encore la précarité énergétique, voilà ce qui devrait vous interroger. Dès qu’on aura la sensation que certains essaient de tirer profit, que le passage aux énergies vertes est pour les riches et qu’il ne restera aux pauvres que la souffrance, alors l’impulsion politique pour le développement durable s’envolera très vite.

Nous devons donc nous assurer que cette question de précarité énergétique soit prise en compte, mais en arrêtant de passer par la subvention aux énergies fossiles.

Jean-Christophe Verhaegen/EU 2019
Frans Timmermans avec la Présidente Ursula von der Leyen, lors d’une séance plénière sur le Green Deal, en 2019

Vous allez voir un changement dans la taxation énergétique et la législation européenne est très en retard sur ce domaine. La dernière révision de la directive sur l’efficacité énergétique a 17 ans, donc nous devons nous y remettre et faire des propositions dans un futur proche.

Votre postulat est vrai, il y a encore bien trop d’incitations fiscales à la consommation d’énergies fossiles, mais je le conteste, ce n’est pas une approche durable, même en termes politiques. Les choses changent relativement vite au niveau européen, et nous allons faire des propositions en ce sens, mais je vois aussi que l’on pense de plus en plus au niveau national.

Là où j’entrevois les plus gros problèmes, c’est évidemment dans ces pays où le risque de précarité énergétique est le plus grand, et où la dépendance au charbon est aussi particulièrement importante.

Dès qu’on aura la sensation que certains essaient de tirer profit, que le passage aux énergies vertes est pour les riches et qu’il ne restera aux pauvres que la souffrance, alors l’impulsion politique pour le développement durable s’envolera très vite.

Nous avons également l’impression que la Commission ne se confronte pas explicitement à la jungle de subventions qui soutiennent la consommation d’énergie fossile. C’est mentionné dans les déclarations pour le Green Deal, mais personne ne parle de ces énormes sommes d’argent qui de fait accélèrent le réchauffement climatique.

Et bien, j’ai un peu parlé de ça, sans doute pas assez clairement, et j’ai pris note et appris de ce que vous me dites. Nous allons devoir changer le système fiscal. J’ai d’ailleurs soutenu cette position dans ma campagne électorale et je suis revenu dessus, tout comme sur les termes de notre directive sur l’énergie durable, la directive sur l’énergie, convaincu que nous devons y apporter quelques changements.

Peut-être que c’est un terme trop technique mais nous avons examiné si notre système fiscal pouvait supporter la transition vers les énergies renouvelables. C’est aussi quelque chose sur lequel mon collègue Valdis Dombrovskis, qui est vice-président exécutif, s’est beaucoup exprimé. Donc vous allez beaucoup en entendre parler ces deux prochaines années à la Commission.

Le règlement de Gouvernance de l’union de l’énergie force tous les états membres à déclarer leurs subventions, leurs programmes de soutien et même à présenter un plan sur la façon de les réduire petit à petit. Mais nous avons découvert que presque tous les états membres, au moins ceux qui ont déjà rendu ces plans, ne se sont pas soumis à ces obligations légales. Soit ils n’ont rien mis dans leurs liste, soit ils sont allés jusqu’à nier proposer des subventions. Ou bien, par exemple, quand ils déclarent correctement des subventions, comme l’Italie, ils n’apportent pas de plan de réduction progressive. Comment gérez-vous ce refus collectif de suivre les règles mises en place ?

Et bien, nous verrons ce qu’il arrivera quand nous établirons nos objectifs pour 2030, ce qui sera en septembre. Ce sera entre -50% et -55%, comparé à 1990.

Imaginons que ce soit – 55%. Cela signifie que les plans nationaux devront être reconsidérés avec beaucoup d’attention, et que la fiscalité, taxonomie et autres soutiens aux énergies fossiles seront épluchés. La Commission devra revoir tous les plans nationaux.

Je crois que vous avez parfaitement raison de mettre le doigt sur ce problème. Mais il y a aussi une question qui met en danger la publication du Green Deal. Nous entamons maintenant la base de ce qui fera le Green Deal, nous avançons étape par étape dans tous les domaines. Bien sûr que cela mène à de houleux débats avec les états membres, mais nous n’avons pas le choix, nous devons faire ce choix de changer les choses fiscalement parlant.

Image: Alexia Barakou

L’Article 25 du règlement de Gouvernance de l’union de l’énergie stipule que tous les états membres « doivent délivrer des informations sur la mise en oeuvre des objectifs et mesures suivantes : des objectifs nationaux de baisse progressive des subventions des énergies, en particulier des énergies fossiles » dans les plans nationaux intégrés énergie-climat (PNIEC). Mais presque tous les états membres se sont bien gardés de respecter ces obligations légales. Soit ils nient proposer ce type de subventions, soit ils ne déclarent pas l’intégralité des dispositifs qu’ils mettent en place, ni les chiffres correspondant, et aucun ne présente un plan de réduction progressive. Comment gérez-vous cette infraction collective à la loi ? Ne serait-il pas approprié de lancer une procédure d’infraction contre les états membres qui ont refusé d’obéir ? Que mettre en place pour les forcer à respecter la règle ?

L’évaluation de la commission sur les PNIEC soumis par les états membres est en court.

Il serait prématuré de conclure si les états membres répondent ou non aux obligations liées aux subventions sur l’énergie, en particulier sur les énergies fossiles. Nous présenterons notre analyse cet automne.

La Commission européenne a estimé que rassemblées, les subventions sur l’énergie fossile des 28 états membres représentaient seulement 55 milliards d’euros par an, bien moins que ne le prédisent d’autres expert.e.s. Par exemple, le Climate Action Network et le think-tank ODI ont découvert en se basant sur une définition plus étroite des subventions que l’Organisation mondiale du commerce, que même en se limitant à 11 pays européens, les subventions aux énergies fossiles dépassaient les 100 milliards d’euros. Pour 24 pays de l’Union Européenne, Investigate Europe s’est arrêté sur l’échelle de 200 milliards d’euros. Pourquoi la Commission Européenne et ses expert.e.s excluent-ils et elles de leurs estimations un si grand nombre de catégories de subventions, comme le privilège fiscal au diesel ou les réductions de taxes énergétiques pour l’industrie ? Espérez-vous que ça semble moins important, un problème mineur ?

Nous accordons une grande importance à renforcer la transparence sur la nature et les montants des subventions accordées aux énergies en Europe, et en particulier quand elles concernent les énergies fossiles. Je peux vous assurer que nous ne sous-estimons pas ni ne minimisons l’importance de ce sujet.

En 2018, la Commission a soumis une toute nouvelle étude basée sur la méthodologie de l’OCDE, pour comparer les énergies fossiles, renouvelables et nucléaires. Cette approche permet d’utiliser des données comparatives comme références pour améliorer les rapports des états-membres dans le cadre de leurs PNIEC. Bien sûr nous révisons continuellement les données accessibles et adressons cela à l’attention des états membres.

Et nous ne devons pas juste examiner les subventions aux énergies fossiles. Comme nous l’avons expliqué en présentant le Green Deal, c’est le moment pour les états membres de considérer une réforme fiscale afin de soutenir les objectifs sur le climat. La directive de taxation de l’énergie a 17 ans et ne correspond plus aux challenges que nous rencontrons aujourd’hui. Nous allons donc en une proposer une révision en juin 2021.

C’est le moment pour les états membres de considérer une réforme fiscale afin de soutenir les objectifs sur le climat

Nous pensons que la clé pour surmonter la consommation d’un grand nombre de subventions pour les énergies fossiles, c’est d’harmoniser la taxation de l’énergie au sein de l’Union Européenne. C’est pourquoi, pour de nombreux états membres, il reste difficile de mettre un terme aux exemptions de taxes, par exemple pour le diesel ou le secteur du transport routier, s’ils se bornent à le faire au niveau national et non dans le marché unique. Mais au moment, la plupart des états membres rejettent toutes les tentatives vers une harmonisation fiscale parce qu’ils considèrent que c’est une attaque sur leur souveraineté nationale. Un tantinet schizophrénique, ne trouvez-vous pas ?

C’est la réalité européenne, il y a des compétences que nous avons clairement délimitées dans le traité et nous travaillons sur cette base.

C’est évident que ce serait mieux si nous disposions d’un seul système de taxation de l’énergie. Cela ôterait toute compétition entre les états membres, mais ce n’est pas la situation que nous connaissons, donc vous savez, quand vous occupez mon siège, vous travaillez avec ce que vous avez, pas avec ce que vous préféreriez avoir.

Et peut-être qu’en prenant les mesures nécessaires pour traiter les plans nationaux qui seront présentés, en considérant les plans qui sortiront de Next Generation EU et la façon de les soutenir, peut être d’une certaine façon allons-nous pousser les états membres vers une meilleure harmonisation fiscale. La Commission ne peut pas les y forcer, mais nous pouvons leur montrer où sont les goulots d’étranglement et les endroits où ils pourraient se trouver en difficulté avec leurs propres objectifs, s’ils ne les changent pas. C’est ce qu’il se passe avec plusieurs états membres. L’Italie a été mentionnée, je pense aussi aux Pays-Bas. C’est une réalité et nous devons faire avec. Notre système étatique n’est pas idéal en Europe et la fiscalité est souvent considérée comme intimement liée aux coeur de la souveraineté nationale.

La Commission ne peut pas les y forcer, mais nous pouvons leur montrer où sont les goulots d’étranglement et les endroits où ils pourraient se trouver en difficulté avec leurs propres objectifs, s’ils ne les changent pas.

La solution devrait être européenne, mais cela exige l’unanimité sur la fiscalité. Un moyen de surmonter le paradoxe serait que le Conseil utilise la fameuse « clause passerelle ». Je crois que la Commission avait établi dans le Green Deal qu’elle pensait y avoir recours.

La Commission présidée par Junker avait déjà fait cette proposition, donc oui bien sûr, nous avons proposé le recours à la clause passerelle pour se diriger vers une majorité qualifiée concernant les questions de fiscalité.

Pensez-vous que cette fois-ci cela soit possible, parce que le problème c’est qu’il vous faut l’unanimité pour passer à la majorité qualifiée ? Pensez-vous que les états membres et le Conseil acceptent la proposition, compte tenu de l’urgence et de la crise ?

Je crois que ça dépendra de comment se dérouleront les prochaines semaines et les prochains mois, concernant les propositions de la Commission à la fois concernant Next Generation EU, le plan de sauvegarde et le cadre financier pluriannuel.

Si en effet je peux trouver un compromis au niveau européen grâce à la hausse substantielle de moyens pour résoudre la crise en accord avec le Green Deal, et avec notre exigence de résilience et de numérisation, je suis absolument convaincu que la solution pour la fiscalité, la solution du vote en majorité qualifiée sur ces questions reviendra sur la table, mais dans cet ordre. Pas l’inverse.

La grande question qui continue de nous poser difficulté en Europe – en tant qu’Italien vous comprenez cela mieux que quiconque – c’est le problème de l’aléas moral, le manque de confiance qui existe entre les états membres dans plusieurs domaines.

Je crois que nous tenons une belle opportunité, pour le plan de sauvegarde européen et pour le cadre financier pluriannuel, de montrer que nous avons surmonté ce risque d’aléas moral qui nous a porté préjudice lors des crises précédentes, comme la crise financière et la crise migratoire.

Mais c’est un sacré test et nous aurons besoin d’un politique de la corde raide sans précédent pour y parvenir, mais je crois que nous en sommes capables. Je pense que la France et l’Allemagne ont montré le chemin, et si nous pouvons sortir de cette situation avec des éléments substantiels qui pourraient mener à la réalisation des objectifs du Green deal, alors je crois que la question de l’harmonisation fiscale sera aussi en discussion.

Image: Alexia Barakou

Pour l’instant, le seul plan que la Commission a mis à l’ordre du jour, c’est de proposer quelque chose après juin 2021. Mais nous pensons que déplacer ces énormes sommes d’argent vers des investissements futurs sera la priorité, il n’est pas un peu trop tard pour attendre juin 2021 ? Si les choses vont dans la direction que vous venez de décrire, pourquoi ne pas proposer une fiscalité commune sur l’énergie dès le début de l’année prochaine ?

Et bien d’abord parce que c’est techniquement compliqué et que cela nécessite beaucoup de préparation, avec un cycle complet d’analyses d’impact parce que sinon cela affaiblira notre proposition. Ce genre de choses demande juste du temps.

Ensuite, le dilemme que vous pointez du doigts est un plus gros dilemme encore, et pas seulement en terme de régimes fiscaux. Étant donné la nature de la crise, nous avons besoin d’argent maintenant (vraiment!), d’ici deux mois, en particulier pour le deuxième semestre de l’année. Mais vu les procédures que cela exige, les décisions seront j’espère prises avant l’été, mais c’est plus probables qu’elles le soient après l’été. Ensuite, le cadre financier pluriannuel entrera en vigueur encore plus tard.

En général il y a un caractère d’urgence, d’opportunité, et à l’inverse un besoin d’être complet et d’obtenir un compromis politique. Donc l’une des questions à laquelle il faudra très rapidement répondre, c’est comment libérer suffisamment de fonds pour investir immédiatement et surmonter les urgences les plus immédiates liées à la crise.

Et j’en viens alors au coeur du problème. Si nous pouvons mobiliser ces fonds, alors nous devons nous assurer qu’on ne jette pas cet argent par les fenêtres, dans des actifs qui seront gelés dans les deux ans à venir.

Politiquement, c’est l’une des plus grandes menaces que nous rencontrons actuellement en Europe. D’abord, pouvons-nous mobiliser des fonds et si nous le pouvons, les dépenserons nous de la bonne manière ? C’est un très gros challenge. Je me suis senti vraiment encouragé par la décision du gouvernement allemand la semaine dernière, qui ont été très « verts » dans leurs mesures de soutien, mais on voit tout de suite les réactions de la société, des syndicats et des autres. Des réactions compréhensibles, et je sais comment fonctionne la politique. Si c’est une réaction liée à la peur de pertes d’emplois nettes, alors le risques de dépenser de l’argent dans de futurs actifs gelés est encore plus grande.

D’accord, vous montrez du doigt un défi qui nous attends dans le domaine fiscal c’est tout à fait vrai, mais j’élargirai le problèmes à une question encore plus vaste. Il y a une tension entre le besoin d’agir tout de suite d’un côté, et le besoin d’agir correctement d’un autre côté. J’espère que nous y parviendrons, nous allons besoin de mener une politique de la corde raide pour y arriver.

Politiquement, c’est l’une des plus grandes menaces que nous rencontrons actuellement en Europe. D’abord, pouvons-nous mobiliser des fonds et si nous le pouvons, les dépenserons nous de la bonne manière ?

Le Système d’échange de quotas d’émissions (ETS) est un autre type de subventions. 16 ans après sa mise en place, plus de 40% des permis sont délivrés gratuitement. 60 secteurs industriels ont été sélectionnés pour les obtenir gratuitement. Pourquoi tant de secteurs sélectionnés, au lieu de quelques-uns comme l’acier et le ciment, à forte intensité énergétique ? Pourquoi 60 secteurs, et pourquoi les extractions de charbon et de pétrole sont-elles exemptes de payer pour leurs émissions ?

Vous voulez que je vous explique quelque chose qui a une histoire de 16 ans ?

Vous savez mieux que moi ce qui nous a mené à cela. C’est un ensemble de compromis politiques et une grande partie de cela a été fait quand le sentiment d’urgence était bien moindre qu’il ne l’est aujourd’hui.

Maintenant, nous devons aller de l’avant. D’abord, l’ETS est une solution de sortie de crise bien meilleure que ce que beaucoup d’entres nous avaient anticipé. Il a connu une sérieuse chute de prix au début mais s’en est vite remis le mois dernier. C’est prometteur.

Ensuite, puisque nous parlons d’ajustement à la frontière, la Commission a été claire qu’il ne pouvait pas y avoir et ajustement à la frontière d’un côté et permis gratuits de l’autre, donc l’ajustement à la frontière suppose de limiter les permis gratuits. Les choses changent assez vite au niveau européen. Nous allons faire des propositions en ce sens, mais j’entrevois aussi un changement au niveau national.

En troisième lieu, nous avons besoin d’amener de plus en plus de secteurs vers l’ETS. Nous devons vraiment regarder de près le transport maritime et l’aviation qui bénéficient d’une répartition beaucoup trop généreuse des droits gratuits. Ce n’est pas l’usage pour ces industries de l’avouer et ils utiliseront la crise pour le rendre encore plus compliqué, mais les acteurs industriels qui ont travaillé avec nous sont presque tous unanimes pour dire que l’ETS est l’avenir, si nous organisons les permis correctement.

Nous allons rencontrer de sacrés défis dans nos relations internationales avec les Chinois et d’autres nations. Si notre système ETS fonctionne bien, il sera imité partout dans le monde. La Chine et d’autres nations observent avec intérêt notre façon de nous organiser.

Ce que craignent de nombreux experts, y compris les autorités nationales avec qui nous avons parlé, c’est que le système actuel encourage les industriels à protéger leurs actifs, leurs vieilles technologies, sans consacrer suffisamment de subventions pour investir dans des systèmes de production neutres en carbone, dans leurs usines d’acier, de ciment, de produits chimiques. Le chef de l’autorité allemande appelle cela un « doux poison, une drogue ». Ils dépendent tous de ces permis, mais cela ne les incite pas du tout à investir dans la fabrication à l’hydrogène et non au charbon. Y entrevoyez-vous un risque, que l’ETS en accordant des subventions pour la transition au lieu de transformer les anciennes technologies, générera encore plus d’actifs gelés ?

Le risque est là, surtout si on accorde les permis gratuits avec trop d’indulgence. Nous voulons donc réduire les permis gratuits. Concernant l’acier, je ne crois pas qu’il y ait un futur pour l’acier polluant en Europe, nous ne pourrons jamais jouer la concurrence sur ce terrain. Cela prendra plus longtemps, demandera plus d’investissements en recherche et développement que nous nous accorderons à faire, mais je crois sincèrement que l’acier produit à l’hydrogène est promis à un grand futur, et pas seulement en Europe.

Ça va créer un nouveau marché global sur l’acier « vert » et nous ferons tout notre possible en utilisant les subventions, la recherche, tout en limitant les permis ETS afin de pousser l’industrie de l’acier dans cette direction. Nous avons eu des discussions similaires avec l’industrie chimique et d’autres secteurs de métaux non ferreux. Vous avez parfaitement raison de montrer la faiblesse du système, mais nous cherchons vraiment à arranger cela.

Image: Alexia Barakou

Le détail intéressant c’est que si vous vendez plus de permis sur le marché, grâce aux enchères, alors vous aurez plus de moyens de subventionner les technologies propres.

Oui, absolument, et on peut aussi décider qu’une petite part de ces revenus rejoindront directement le budget européen, ce qui permettrait de créer des ressources propres. La beauté du système ETS c’est que vous pouvez identifier précisément la nature du revenu et consacrer ensuite la nature de la dépense aux nouvelles technologies et à l’économie verte.

Réduire les permis ETS gratuits et mettre en place un tarif carbone semblent aller de pair. Si vous ne parvenez pas à faire ce tarif, pensez-vous toujours réduire les permis gratuits ? Ou serait-ce trop difficile pour les sociétés ?

Difficile de répondre simplement. Si nous réduisons maintenant les permis gratuits sans ajustement carbone à la frontière, certaines industries vont conserver plus de permis gratuites que d’autres, parce que nous devront compenser le fait qu’elles subissent une concurrence déloyale venue des autres pays du monde. Mais cela ne s’applique pas à toutes les industries.

Donc les deux sont liés, dans le sens où je ne souhaite pas accorder de permis gratuits si nous avons un mécanisme d’ajustement carbone à la frontière. Mais si l’on inverse la situation, si nous n’avons pas de mécanisme d’ajustement carbone, alors ça n’enlevera rien au besoin de réduire les permis gratuits, mais il faudra être un peu plus précis, afin d’éviter les émissions de CO2.

Vous avez dit que cela demandera du courage politique aux états membres, pour ne pas dépenser de l’argent en ce moment vers des actifs qui seraient bientôt gelés. Qu’allez vous faire ?

Ce que nous avons déjà commencer, c’est de poser nos plans sur la table. Nous nous sommes assuré.e.s que Next Generation EU soit guidé par les accords du Green Deal. Nous avons déposé une feuille de route sur la table et j’espère que les états membres auront envie de la suivre et une fois encore, je suis assez positif sur leur réaction. Quand Ursula von der Leyen m’a dit qu’au Conseil la sauvegarde se baserait sur le Green Deal, ça n’a pas été remis en question par les états membres. Bien sûr que tout le monde n’est pas satisfait de la même façon, mais tous et toutes acceptent d’aller dans la même direction.

Que ferez-vous si les états membres ne suivent pas votre feuille de route ?

Et bien nous mettrons en oeuvre tous les pouvoirs que nous avons pour les ramener vers le droit chemin, mais comme vous le savez, nous n’enverrons pas de troupes dans les états membres. Seule la force de nos arguments devraient convaincre les états membres. La possibilité de les soutenir financièrement si nous jugeons que leurs plans sont corrects, c’est aussi quelque chose qui jouera un rôle pour les convaincre. Voilà l’étendue de notre pouvoir.

Nous mettrons en oeuvre tous les pouvoirs que nous avons pour les ramener vers le droit chemin, mais comme vous le savez, nous n’enverrons pas de troupes dans les états membres. Seule la force de nos arguments devraient convaincre les états membres.