L’Europe et les énergies fossiles : histoire d’une romance

Alexia Barakou

L’un des rares effets positifs du confinement lié au Covid-19 s’est vu dans la clarté du ciel, la hausse de la qualité de l’air et la chute des taux de CO2 dans l’atmosphère. Maintenant que l’Europe s’est presque intégralement déconfinée, et que les gouvernements ont émis le désir de remettre leurs économies sur les rails, on reconnait tout de même qu’un retour à la « normale » nous pousserait dans les bras de la catastrophe qui s’annonce : le changement climatique.

En 2020, l’Union Européenne devait lancer son plan ambitieux pour contrecarrer la crise climatique. Mais le Green Deal européen (les initiatives politiques de la Commission européenne devant mener l’UE à la neutralité carbone dès 2050) est déjà critiqué : il n’irait pas assez loin, manquerait de substance véritable. Pire encore, les gouvernements européens offrent toujours des subventions aux industries des énergies fossiles, et sous diverses formes. Cela va des avantages fiscaux au marché de capacité en passant par le système d’échange de quotas d’émissions. Investigate Europe s’est lancé à la découverte de l’étendue de ces subventions, pour comprendre comment l’Union européenne, ainsi que le Royaume-Uni, la Suisse et la Norvège, sabotent leurs propres objectifs.

Au travers de nos recherches, nous avons découvert que 30 pays de la zone économique européenne, ainsi que le Royaume-Uni, offraient des subventions pour des énergies fossiles comme le charbon, la lignite, le gaz naturel et le pétrole, à hauteur de 137 milliards d’euros par an. En comparaison, le budget annuel total de l’UE grimpe à 155 milliards d’euros par an.

En chiffres absolus, l’Allemagne est au sommet de la liste, avec 37 milliards d’euros par an, suivi par le Royaume-Uni avec 19 milliards, l’Italie avec 18 milliards et enfin la France avec 17,5 milliards d’euros. Pour plus de détails, cliquez sur la carte ci-dessous, qui est basée sur nos découvertes.

Un objectif inatteignable

Le but visé par l’Europe, c’est d’être neutre en carbone d’ici 2050. En 2030, d’ici 10 ans donc, les gouvernements européens se sont engagés à réduire leurs émissions de gaz à effets de serre de 40%, pour revenir aux niveaux des années 1990. Pour parvenir à cette promesse de « décarbonner » l’économie, la Commission européenne demande que cette réduction soit accentuée d’au moins 55%. Pourtant, aucun de ces deux objectifs n’est possible tant que ce type de subvention continue d’exister. Selon Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne et responsable du projet Green Deal, ces subventions vont être « progressivement abandonnées ».

A graphic of the Green Deal, with two hands covered in plants making a thumbs up signAlexia Barakou
L’objectif du Green Deal est de rendre l’Europe neutre en carbone d’ici 2050

Mais l’engagement réel des gouvernements n’est pas au rendez-vous de ces éléments de rhétorique. À la fin de l’année 2019, tous les États membres devaient rendre leurs plan nationaux intégrés énergie-climat (PNIEC) à la Commission européenne. Cela devait inclure un récapitulatif de toutes les subventions offertes aux énergies fossiles, ainsi qu’un plan sur la façon de les abandonner progressivement. Parmi les nations qui ont rendu leurs PNIEC, seuls 16 pays ont présenté une liste incomplète de leurs subventions aux énergies fossiles. Et aucun des 26 plans n’apportait des éléments sur la façon de lâcher progressivement ces subventions.

La raison pour laquelle ces PNIEC sont si incomplets réside dans des lacunes juridiques laissées par la Commission elle-même. Au lieu de définir explicitement la nature même des subventions, le règlement stipule : « en faisant leurs rapports, les États membres peuvent choisir de se baser sur les définitions existantes des subventions aux énergies fossiles utilisées au niveau international. » Mais il existe tant de définitions différentes, à la disposition des gouvernements, que la plupart ont choisi celles qui servaient le mieux leurs objectifs politiques. Le Royaume-Uni et les Pays-Bas (respectivement numéro 2 et 7 de notre liste) vont jusqu’à nier d’avoir jamais versé de subventions aux énergies fossiles, ce qu’ils sont en mesure de faire, grâce à la définition qu’ils ont choisi.

Que les énergies fossiles soient si intimement imbriquées dans les économies européennes ne devrait surprendre personne. En effet, la majorité des États membres produisent du pétrole et du gaz naturel, et en Pologne, le charbon règne en maître.

Contradictions européennes

« 52 jours sans électricité produite grâce au charbon », s’est vanté le Portugal début mai. « 67 jours », a répondu début juin le Royaume-Uni, qui n’est pas en reste. La Pologne a baissé les yeux et traîné des pieds.

The Bełchatów Lignite Mine in PolandPhil MacDonald / CC BY-SA
La mine de lignite Bełchatów, en Pologne

La mine à ciel ouvert de lignite Bełchatów et sa centrale électrique, basées dans le centre de la Pologne, consume du charbon jour et nuit. C’est la plus grande pollueuse de l’Europe et la plus grande centrale à lignite du monde. Elle émet jusqu’à 37 millions de tonnes de CO2 tous les ans. Le trou créé par la mine à ciel ouvert, peut être vu depuis la lune. Ces deux dernières années, les émissions de métaux lourds (arsenic, zinc, plomb, nickel, cuivre, chrome) a augmenté de plus de 50%. Le mercure grimpe également d’une année à l’autre.

Ironiquement, la centrale nationale, qui empoisonne la population et détruit le climat, se vante du faible coût de l’électricité qu’elle produit. « Le charbon est notre or noir », a expliqué le Premier ministre Mateusz Morawiecki aux mineur.e.s. Mais les faibles coûts s’expliquent aussi par les subventions à la fois officielles et cachées. Pour la seule année 2019, la centrale a reçu un demi milliards de zlotys de subventions, ce qui correspond à 10% de ses revenus totaux. Entre 2013 et 2019, elle a reçu 2,5 milliards de zlotys sous la forme de subventions, et peut aussi compter sur des prêts à taux préférentiels et sur des fonds européens.

L’état polonais continue de distribuer les subventions pour maintenir ses mines et ses centrales au charbon. Une dizaine de mécanismes de subventions dévorent près de 7 milliards de zlotys par an du budget national. De l’argent qui sort de la poche du contribuable. Ces fonds sont utilisés principalement à destination des centrales à combustion de charbon. Ce sont justement de ces centrales que la Pologne doit se débarrasser rapidement, pour protéger le climat.

Une subvention sous une autre dénomination

« Le Royaume-Uni ne subventionne pas les énergies fossiles », voilà ce qu’a répondu le gouvernement britannique à une pétition en ligne qui demandait à ce que l’état soutiennent les énergies renouvelables et non les énergies fossiles. « Les Pays-Bas ne subventionnent pas les énergies fossiles, même pas au travers de mesures fiscales », a affirmé le Ministre de l’économie Henk Kamp à la Chambre des états généraux du pays, il y a cinq ans. Ces affirmations, du Royaume-Uni et des Pays-Bas, montrent combien les définitions des subventions sont un sujet compliqué.

Par exemple, le Royaume-Uni (qui arrive deuxième dans la liste établie par Investigate Europe) ne considère pas comme une subvention la baisse de la TVA de 20 à 5% pour le gaz naturel et l’électricité domestiques. Il ne prend pas non plus en compte le marché de la capacité, qui a fait l’objet d’un récent recours en justice concernant les règles relatives aux aides d’État. Même chose pour les financements qui viennent de UK Export Finance (UKEF), un institution financière publique, qui a accompagné des projets de production d’énergie basés sur les énergies fossiles de 2014 à 2016 sur une moyenne de 16,7 millions d’euros.

Les Pays-Bas (septième dans la liste) vous demanderont de ne pas tenir compte des exemptions fiscales, comme celles qui sont utilisées pour l’électricité produite au charbon (abolies en 2012 et réintroduites en 2016) ou en faveur de la combustion associée de biomasse dans les centrales à charbon, qui reçoit près de 450 millions d’euros par an. De même, comme c’est le cas au Royaume-Uni, le financement de projets à l’étranger, au travers d’assurances crédit-export, devrait être aboli de façon multilatérale pour « égaliser le terrain », a expliqué le Secrétaire d’état Hans Vijlbrief, à la Chambre des états généraux.

Et le consommateur, alors ?

Pendant des décennies, le gasoil a été utilisé presqu’exclusivement pour les véhicules commerciaux, les camions et les tracteurs. Pour satisfaire le développement économique, le prix du gasoil dans tous les pays européens (à l’exception de la Belgique) est plus faible que celui de l’essence. Cela a fait l’objet en 2003, d’une directive européenne de taxation de l’énergie. « Pour les carburants gasoil, qui sont particulièrement utilisés par les transporteurs routiers, un traitement fiscal particulier devra être offert », peut-on lire.

Cette décision a poussé l’industrie automobile à investir massivement dans des voitures motorisées au diesel, ce qui a mené des millions d’Européen.ne.s à conduire des voitures qui polluent l’atmosphère en ville, avec des émissions à forte teneur d’oxyde d’azote, qui accélèrent aussi le changement climatique. Le fait que ce carburant soit bon marché a aussi encouragé le secteur logistique à délaisser le rail pour préférer l’autoroute. Et même si l’on peut constater les dégâts, les dirigeant.e.s europén.ne.s refusent d’adopter des réformes.

Manifestation du mouvement des gilets jaunes, au carrefour de l'Espérance, à Belfort, le 17 novembre 2018.Thomas Bresson/CC
Manifestant.e.s Gilet Jaunes en France

Un autre exemple qui montre qu’on peut faire dire ce qu’on veut au texte de la Commission : en Allemagne, le gouvernement fédéral ne reconnait pas les tarifs du diesel comme une subvention. En conséquence, il renonce à des recettes de 11,5 milliards d’euros par an en faveur des conducteurs de véhicules diesel. Presque le double de ce qu’il lui restait pour des projets, dans son fond pour le climat de 2019. Cela se répète dans toute l’Europe : 12 pays (dont les données étaient disponibles) ont renoncé à 23 milliards d’euros par an.

Pourquoi « cette subvention qui n’en est pas une » existe encore ? « Nous ne voulons pas punir les consommateurs et consommatrices avec des prix plus forts à la pompe », a expliqué l’un des fonctionnaires allemands impliqué, et qui souhaite rester anonyme.

Punir le consommateur, c’est exactement ainsi que sont perçues toutes les hausses de prix des carburants. En 2018, quand le gouvernement français a tenté d’augmenter les taxes de 2,9 centimes par litre de mazout et de 6,5 centimes par litre de diesel, cela a déclenché un mouvement de protestation nationale. Les gilets jaunes ont presque fait tomber le gouvernement. « Les gens qui se plaignent de la montée des prix des carburants sont les mêmes qui se plaignent de la pollution qui blessent leurs enfants », avait expliqué le Président Emmanuel Macron. Au final, il a abandonné la réforme.

Dépenser autant d’argent que de pétrole

Le soleil se lève sur une nouvelle journée à Rhodes, une île grecque bien connue des professionnel.le.s du tourisme, mais le bruit de moteurs géants vient troubler le calme de ce petit matin. Le Ice Hawk, un tanker qui livre du pétrole à la centrale électrique locale, vient d’arriver pour décharger. Quand il accoste, des plongeurs le raccordent à des pipelines sous-marines avant que de grosses pompes fassent passer 6000 tonnes d’un mazout dégoûtant et de diesel dans des réservoirs. Pendant ce temps, des habitant.e.s du village adjacent de Soroni espèrent retrouver bientôt les touristes. Cette scène, qui se répète dans bien des îles grecques, nous rappelle que le retour des touristes va imposer une grosse demande d’électricité à ces territoires insulaires.

Dès que les touristes retourneront à Rhodes, la demande en électricité va exploser.

Produire de l’électricté de cette façon, à partir du mazout, n’est pas simplement une sale entreprise, c’est aussi très cher. Et pourtant, l’investissement initial pour connecter les îles au réseau continental pourrait être rentabiliser par des économies en quelques années seulement. Si l’on prend la Crète, par exemple, connecter l’île au continent pourrait être auto-financé en deux années et demi seulement et permettrait de réduire de 60% les émissions de CO2 (près de la moitié de l’énergie produite dans le réseau continental grec est propre).

C’est connu depuis plus de 20 ans. Pourtant les centrales à mazout continuent de fonctionner, et grâce aux aides gouvernementales. Cela génère aussi des profits aux armateurs qui transportent le carburant. « C’est fou que le monde entier parle de protection climatique depuis si longtemps tout en continuant de gâcher ridiculement des milliards d’euros pour faire fonctionner quelques dizaines de centrales à mazout très chères », s’est étonné Takis Grigoriou, activiste pour le climat et l’énergie chez Greenpeace. « C’est juste parce que l’état, depuis des années, s’est montré faible et n’a pas souhaité résoudre ce problème aussi dangereux pour le climat que pour l’économie ».

La romance de l’Europe avec les énergies fossiles

Ce que nous venons de décrire n’est qu’un échantillon de ce que l’équipe d’Investigate Europe a découvert pendant ses recherches. Pour les décrire toutes, il faudrait un livre. Donc pourquoi, malgré tous les discours sur l’urgence climatique, les énergies fossiles sont-elles autant subventionnées ? Ce serait trop simple de circonscrire la réponse au pouvoir des lobbys, même si le rôle du lobby des énergies fossiles ne doit pas être sous-estimé.

Jean-Christophe Verhaegen/EU
Séance plénière exceptionnelle – Le Green Deal européen

Les carburants fossiles ont enrichi notre économie depuis qu’ils ont permis de lancer la révolution industrielle et ils sont tellement inscrits dans notre façon de vivre que leur recours est presque devenu une addiction indécrottable. Alors que les gouvernements tentent différentes manières de désintoxiquer la société, ils essaient en même temps de trouver une façon de faire discrètement machine arrière.

Ce comportement est en grande partie motivé par la peur que les entreprises perdent de leurs avantages, en passant aux énergies renouvelables. La peur qu’en devant se passer des subventions, elles finissent toutes par être rattrapées par la concurrence, bien plus décidée à générer du profit qu’à résoudre le changement climatique.

La manière dont l’argent public trouve le chemin des énergies fossiles est rendu flou grâce à une armée d’acronymes, de systèmes d’exemptions, de marchés ou de commerces confus. Le fait que ce soit si compliqué à comprendre fait également partie du problème, faire que la vérité soit difficile à trouver, et donc à combattre. Nous avons porté notre attention en détail sur plusieurs d’entre elles :

La Directive sur la taxation de l’énergie (DTE)

Depuis 17 ans, la Directive sur la taxation de l’énergie (DTE), empêche l’Europe de se passer progressivement des subventions aux énergies fossiles. En septembre 2019, la Commission européenne a publié son évaluation sur les DTE et a conclu : « La directive sur la taxation de l’énergie de l’UE n’est plus en accord avec les objectifs européens sur le climat. »

L’étendue de ses avantages fiscaux est large, elle inclut les secteurs de l’aviation, du transport maritime, l’utilisation du charbon, du gaz naturel et du mazout pour produire de l’électricité. Elle permet aussi aux États membres d’appliquer des exemptions et réductions de taxes pour l’utilisation des énergies fossiles dans d’autres activités telles que l’industrie lourde, le transport routier, et le gazole non routier destiné à l’agriculture.

Le Green deal européen établit « la nécessité de mieux aligner nos systèmes de taxations aux objectifs européens sur le climat ». L’évaluation de la Commission remet donc en question le large panel d’exemptions et de réductions qui encouragent plutôt à utiliser les énergies fossiles.

Mais analyser les divergences est une chose. Les changer en est une autre. La Suède, l’Allemagne et le Portugal sont très clairs sur la nécessité de changer la DTE, mais il n’y a pas consensus dans le Conseil. La Pologne et la République tchèque sont contre cette révision, et craignent que leurs « souveraineté nationale » soit menacée par un système de taxation de l’énergie commun. Ce n’est pas tout, la résistance au sein du Conseil n’est pas si officielle, même sans le plus grand opposant à toute harmonisation fiscale : le Royaume-Uni.

L’étendue du changement radical nécessaire à métamorphoser cet état de fait pourrait être résumée proprement par le philosophe portugais Viriato Soromenho-Marques, ex membre du groupe de haut niveau sur le changement climatique et l’énergie, un organe consultatif auprès du Président de la Commission européenne Durão Barrosom. « Nous vivons dans une conte, quand on pense que les promesses du Green deal ne pourront être respectées qu’en faisant des changements que je juge personnellement révolutionnaires », a-t-il expliqué à Investigate Europe.

Le système européen d’échanges de quotas d’émissions (SEQE UE)

Même si elles sont bien intentionnées, certaines mesures peuvent avoir des conséquences inattendues. Le SEQE UE a été présenté par la Commission européenne comme « la pierre angulaire de la politique européenne pour combattre le changement climatique et un outil parfait pour réduire à peu de frais les émissions de gaz à effet de serre ». Il a été mis en place pour limiter les émissions des centrales électriques et des usines. Il fonctionne sur un principe simple, bien connu des économistes : le « plafonnement et échange ». Ce processus par lequel les états s’accordent sur des permis avec quantité annuelle d’autorisation de rejets, qui sont ensuite mis aux enchères à des société qui émettent du gaz à effet de serre.

Chaque année, ces quantités sont réduites, ce qui laissent aux sociétés la possibilité d’investir dans des technologies moins polluantes (et de vendre le surplus de leurs permis en faisant du profit) ou bien leur impose de racheter des permis si elles en ont besoin. Malheureusement, ce système est très vulnérable face à l’influence des lobbys et l’ingérence des gouvernements.


Au lieu d’être vendus, de nombreux permis ont juste été distribués gratuitement. Un rassemblement uni d’associations industrielles européennes, représentant principalement les secteurs de l’acier, de l’industrie chimique et du ciment, se sont plaint des risques sur leurs compétitivité si ces permis d’émission devaient être achetés. « Cela imposerait aux chaînes de production de s’installer ailleurs », explique Jörg, lobbyiste allemand en chef pour les industries concernées. C’est un risque que les dirigeant.e.s européen.ne.s ne veulent pas courir, étant donné qu’ils et elles sont inquiet.e.s de la délocalisation des plus grands émetteurs de gaz à effet de serre en dehors de l’Union Européenne. Pas simplement parce que les emplois seraient déplacés hors des frontières, mais aussi parce que les émissions exploseraient ailleurs, un phénomène que le jargon européen appelle la « fuite de carbone ». L’Europe perdrait sur tous les terrains : les emplois et les bénéfices pour l’environnement global.

Même les mines de charbon ou les stations de pompage de pétrole ou de gaz naturel, qui émettent des quantités astronomiques de gaz à effet de serre, n’ont pas à acheter leurs permis. En fait, 43% de tous les permis sont accordés gratuitement : un cadeau qui vaut des milliards. L’année dernière, la valeur de ces permis, mesurés par rapport à la valeur moyenne du marché, était de 17,8 milliards d’euros.

Le marché de capacité

Les marchés de capacité sont venus aux politicien.ne.s et au public comme un moyen de s’assurer que les lumières restent allumées. Quand les centrales électriques arrivent en fin de course, des plans doivent être mis en oeuvre pour les remplacer, et sécuriser la production électrique. C’était la mission première du marché de capacité. Il a été créé pour s’engager à produire pour les années de livraison à venir, et assurer ainsi la fiabilité du réseau.

Le Royaume-Uni dispose du marché de capacité le plus ancien, il a été lancé en 2014, mais d’autres pays (Belgique, Croatie, Danemark, France, Allemagne, Irlande, Italie, Pologne, Espagne et Suède) en disposent ou ont prévu de le mettre en place. Le Portugal a été rapide également à mettre en place un marché de capacité, avant de dissoudre. Le régulateur du secteur électricité portugais, tout comme le responsable du réseau ont établi très clairement qu’il n’y avait aucune raison de subventionner la « mise à disposition » du courant, parce qu’il y avait un « excédent de production électrique dans la péninsule ibérique ».

La mise à disposition du courant n’est pas non plus un problème pour le reste de l’Europe, la Commission l’admet elle-même : « l’Union européenne est en situation de surcapacité de production ». Donc le problème supposé être résolu par le marché de capacité n’est en réalité pas un problème à l’heure actuelle.

En outre, de nombreuses ONG et activistes du climat considèrent que les marchés de capacité ne sont pas une façon de garder les lumières allumées, mais plutôt un moyen de continuer de dépenser des énergies fossiles. Il lie les gouvernements à des contrats pour de longues années, pour grapiller la dernière petite goutte de profit générée par les industries fossiles, à travers la conversion des centrales à charbon en gaz naturel (comme c’est le cas au Royaume-Uni et en Italie) plutôt qu’en énergies renouvelables. Par nature, avancent-ils et elles, le marché de capacité est inflexible, favorise els énergies fossiles et exclue des technologies innovantes et renouvelables.

Le pouvoir de persuasion

« Les secteurs liés aux énergies fossiles sont bien ancrés dans les gouvernements et dans les institutions européennes grâces à leurs puissants lobbys », explique Viriato Soromenho-Marques.

Le Français Pascal Canfin, Président de la Commission environnement au Parlement européen est encore plus explicite : « les lobbys se cachent derrière chaque exemption de taxe », explique-t-il. « Donc lundi on parlera avec les agriculteurs.trices, mardi avec les transporteurs.trices routiers.eres, et mercredi ce sera le tour de quelqu’un d’autre. Donc, quand on dit que l’on subventionne le secteur des énergies fossiles, en réalité nous réduisons les taxes pour baisser l’empreinte énergétique des secteurs qui ont pu négocier avec nous. »

Le pouvoir des lobbys se voit clairement dans les retours exigés du secteur privé, des ONG, des acteurs de l’énergie et du public par la commission sur les propositions de réformer la Directive de taxation de l’énergie (DTE). Sur les 180 réactions, la majorité demande à maintenir les exemptions de taxation de l’énergie. Certain.e.s menacent même de poursuivre l’Union Européenne alors que d’autres (comme l’association du transport aérienà demande à ce que toute décision sur une éventuelle révision de la DTE soit mise en pause, dans un avenir post-Covid19 à moyen terme.

L’argumentaire sur la compétitivité, la concurrence équitable et le profit ne peut pas être résolu à l’intérieur même des pays européens, et ce même sans considérer le marché en dehors de l’UE. Donc, alors que tout le monde jette des paroles en l’air sur le besoin de passer aux énergies renouvelables, les pressions du marché pour maximiser les profit et maintenir la compétitivité sont trop puissantes pour être ignorées. Les lobbyistes survolent tous les changements possibles et se battent pour leurs cause.

En 2020, l’Union Européenne devait lancer son plan ambitieux pour contrecarrer la crise climatique. « 

“Nous vivons un tournant historique. C’est l’équivalent pour l’Europe des premiers pas sur la lune”. Voilà comment Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, décrivait le Green Deal européen, en décembre 2019.

Mais parce que l’industrie des énergies fossiles reste soutenue par les gouvernements européens, et ce de bien des façons, il est dur de voir comment l’Europe peut imaginer même approcher des réductions d’émissions obligatoires, pour y arriver. Cela demandera un pas de géant dans la coopération et beaucoup d’exigence pour faire de ces ambitions autre chose qu’un « conte ». L’Europe en a-t-elle vraiment envie ?


Lisez l’interview de Frans Timmermans, vice-président de la Commission Européenne.