Pourquoi la crise du Coronavirus devrait relancer le Green Deal

Juliet Ferguson

Au moment où la nature explose, boostée par le printemps, la pandémie plonge le monde dans l’incertitude et le besoin. La tentation serait de fixer tous nos espoirs sur un avenir post-virus, d’attendre patiemment le moment où l’on aura vaincu le Covid-19, quand on pourra retravailler ensemble et que tout sera revenu à la normale.

Aussi compréhensible que soit cette espérance, elle est aussi trompeuse. Tout prête à penser que l’onde de choc du virus changera fondamentalement et pour toujours notre façon de vivre dans une société globalisée. Préjuger même qu’il existera un vaccin efficace un jour est un voeu sans fondement scientifique. Depuis plus d’une décennie, toutes les tentatives pour immuniser humains et animaux contre les différents types de coronavirus ont échoué. L’Organisation Mondiale de la Santé a émis un avis explicite : ce n’est pas certain qu’une fois passée la guérison, l’infection apporte une immunité permanente.

Et dans l’hypothèse où l’on parviendrait à une prouesse médicale, elle ne pourrait pas empêcher la catastrophe qui couve : l’effondrement de l’économie mondiale sera inédit en temps de paix, dans le capitalisme moderne. Les pays du Sud seront les plus durement impactés. Pour ceux qui dépendent de l’export de matières premières et du tourisme, une grande partie de la population a déjà perdu travail et revenus. En conséquence, “la faim et la malnutrition pourraient tuer plus de personnes que le virus”, prédit Ian Goldin, économiste spécialiste de la globalisation et du développement à l’Université d’Oxford.

L’onde de choc du virus changera fondamentalement et pour toujours notre façon de vivre dans une société globalisée

Au même moment, l’arrêt ou la perturbation des chaînes de distribution va replonger des centaines de millions de personnes dans la pauvreté, particulièrement dans les économies prospères d’Asie et d’Amérique latine. Des systèmes de protection sociale prêts à gérer l’afflux d’une soudaine misère de masse, il n’en existe presque nulle part. Même dans les pays riches, ils et elles seront trop nombreux à passer au travers des filets de sécurité. Une grande partie de l’économie fantôme, illégale et officieuse avec son travail au noir souvent réservé aux travailleurs migrants précarisés, s’est déjà effondrée lors du confinement. De la même façon, des millions de petites entreprises vont disparaître à jamais.

Ce séisme économique sera inévitablement suivi d’un séisme politique. Les possibilités sont vastes : elles vont des émeutes de la faim et des attaques terroristes aux crises politiques sans fins et aux coups d’Éétat. En l’absence de fonds suffisants pour combattre le virus, des “bassins de maladie” pourraient se créer dans les plus pauvres régions du monde. Cela déclencherait des migrations de masse d’une “échelle biblique”, s’est alarmé l’ancien directeur des études du FMI, l’économiste Maurice Obstfeld.

Tout cela est terrifiant, mais devrait permettre une prise de conscience sans précédent. Les conséquences de la crise du Coronavirus nous donnent un aperçu de ce qui attend l’humanité si nous ne parvenons pas à stopper le changement climatique avant qu’il ne soit hors de contrôle, avec la fonte du permafrost ou la disparition des forêts tropicales. 

En cela, il est assez ironique que la situation actuelle, avec ces dangers qui guettent, apporte avec elle la dernière occasion d’empêcher un désastre bien supérieur. 

La situation actuelle, avec ces dangers qui guettent, apporte avec elle la dernière occasion d’empêcher un désastre bien supérieur.

Pour parvenir à cela, cependant, nous devons nous préparer et agir  à grande échelle. Selon Ian Goldin de l’Université d’Oxford, l’effondrement rampant de l’économie globale créée une situation similaire à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. L’échelle de ce déclin ouvre la porte à de nouveaux concepts. À l’époque, l’économiste britannique John Maynard Keynes et ses collègues américains dessinaient un nouveau système économique pour la reconstruction. Une occasion s’ouvre aujourd’hui  pour adapter les systèmes de production aux limites écologiques de la planète et aux exigences sociales d’une société mondiale de 8 milliards de personnes.

Il faut penser grand ! voilà le slogan. Actuellement, les gouvernements du monde entier mobilisent toutes les ressources disponibles pour remettre leurs économies sur les rails, aussi vite que le permettent les mesures de prévention sanitaire. Selon les projections, les pays de l’Union Européenne devraient dépenser à eux-seuls plus de 2000 milliards d’euros.

Au même moment, l’Union Européenne s’est donné l’objectif de réduire sur 10 ans les émissions de gaz à effet de serre de 55% par rapport aux niveaux de 1990, et ce pour devenir complètement “neutre pour le climat” en 2050. Pour le moment, ce “Green Deal” sonne pourtant comme une vaine promesse, et demeure insuffisamment financé. Si décision était prise d’investir les plans de relance économique de trillions d’euros prévus pour nous libérer de la dépendance aux énergies fossiles, l’Europe pourrait montrer l’exemple et protéger son économie des crises futures. Ursula Von Der Leyen, Présidente de la Commission Européenne a présenté le Green Deal comme “les premiers pas sur la lune de l’Europe”… une vision qui pourrait devenir réalité.

L’échelle de ce déclin ouvre la porte à de nouveaux concepts

Les scientifiques du think-tank allemand Agora Energewende, qui se consacre à la transition écologique, ont déjà élaboré le premier jet de ce Green Deal. Selon ce concept, les programmes d’investissements gouvernementaux ne devraient accorder de subventions qu’aux entreprises investissant dans des technologies neutres en charbon, en pétrole et en gaz naturel.

En Allemagne, par exemple, plus de la moitié des entreprises de transformation de matières premières dans l’industrie métallurgique, chimique et du ciment devront être renouvelées dans les dix prochaines années. Les derniers hauts-fourneaux et autres vapocraqueurs fonctionnant à l’hydrogène sont plus chers que les anciens modèles, mais cet écart pourrait bientôt se resserrer et la conversion s’accélérer radicalement, grâce aux fonds gouvernementaux provenants des plans de relance économique. Le même processus s’applique à la rénovation énergétique des bâtiments, avec la production en masse de matériel d’isolation thermique et son installation dans tous types de constructions et le remplacement des chaudières à gaz naturel ou à fioul par des pompes à chaleur.

Au même moment, la construction d’infrastructures dédiées à la production d’hydrogène grâce aux énergies renouvelables – qui deviendrait le nouveau combustible de base et moyen de stockage d’énergie – devrait être encouragée au niveau Européen. La production d’hydrogène grâce à l’énergie solaire promet déjà de grandes opportunités, en particulier dans les pays du Sud, en Espagne et en Italie en outre menacés par la sécheresse et la pauvreté.

En outre, l’investissement sur l’hydrogène doit aussi reposer sur la hausse des prix des énergies fossiles. La crise du Covid-19 a vu s’effondrer historiquement les cours du pétrole et du gaz naturel. Une façon de compenser cette chute des prix, serait de rééchelonner les tarifs en fonction des certificats accordés à certaines entreprises qui réduisent leurs émissions de gaz à effet de serre, afin de les dédommager. C’est une décision politique qui revient à l’Europe. “L’objectif crucial, c’est de ne plus investir dans les vieilles industries et laisser filer en masse l’argent du contribuable dans des investissements à fonds perdus”, pointe du doigt Patrick Graichen, Directeur général du think-tank Agora Energewende. 

L’industrie du plastique utilise la crise du Coronavirus comme prétexte pour demander le report de la directive contre leur production de déchets

Mais c’est exactement ce qu’il va se produire si les dirigeants et dirigeantes actuelles de l’économie européenne l’emportent. Sven Giegold, du parti Vert Allemand a compilé une liste de requêtes choquante émanant de groupes industriels européens. Des fabricants automobiles aux représentant.e.s des petites entreprises en passant par les mines de charbon polonaises, tout le lobby industriel européen demandent à ce que le Green Deal soit repoussé. L’industrie du plastique utilise même la crise du Coronavirus comme prétexte pour demander le report de la directive contre leur production de déchets.

Mais même sur ce front-là, la crise du coronavirus engendre de l’espoir. En  combattant le virus, les gouvernements européens ont appris et montré qu’il est juste de s’opposer aux intérêts égoïstes des corporations, quand le bien-être de toute la société est en péril. C’est précisément l’argument de la lutte contre le réchauffement climatique. Céder maintenant à la pression des lobbyistes, gaspiller le plus grand plan de sauvetage jamais mis en oeuvre pour sauver les industries d’hier, serait d’une stupidité absolument inimaginable.

“Never waste a good crisis” (ne jamais gâcher une bonne crise), c’est l’une des maximes attribuées à Winston Churchill. Elle n’a jamais été autant d’actualité.


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