La 5G, son fonctionnement et ses effets

Alexia Barakou

Pour le commun des mortels, la cinquième génération de technologie mobile (5G) rime désormais avec une promesse : celle d’une avancée majeure dans l’ère de l’information, d’une connexion Internet plus rapide que jamais qui démultipliera les capacités des objets que nous possédons.

Il ne faut pourtant pas aller trop vite en besogne. La 5G n’est pas encore déployée ; elle reste toujours à l’essai dans de nombreuses villes d’Europe et dans le reste du monde. L’attribution des fréquences radio nécessaires à son fonctionnement – à travers la vente aux enchères de « blocs » de fréquences – est toujours en cours.

La 5G utilise une technologie entièrement nouvelle pour fournir une connexion et une vitesse de téléchargement ultra-rapides. Mais sans les infrastructures nécessaires, elle devra dans un premier temps s’appuyer sur la 4G.

Aux racines de la 5G : du téléphone-brique au bijou de technologie

Pour comprendre à quoi va ressembler notre futur connecté, il faut se souvenir de la manière dont tout a commencé.

La première génération de téléphonie mobile (1G) a permis la transmission de signaux vocaux analogiques à partir de 1979 – les appareils faisaient alors la taille de briques dotées d’antennes souples. Le signal vocal numérique 2G est apparu en 1991, profitant des progrès dans le domaine de la miniaturisation : les téléphones devinrent plus petits, perdirent leurs antennes, et commencèrent (tout juste) à rentrer dans nos poches.

En 1998 fut lancé le premier réseau 3G, synonyme de données mobiles et de débits (relativement) rapides. La quatrième génération de technologie mobile a été introduite en 2008, inaugurant l’ère de l’Internet mobile. De nombreux citoyens estiment que la 4G, qui a encore des marges d’amélioration, est plus que suffisante. La 5G, objectent-ils, n’est ni au point, ni nécessaire. En Europe, ajoutent-ils, ses défenseurs sont des industriels et des politiciens qui réalisent tardivement les opportunités que cette technologie représenterait – et que les pays où le déploiement de la 5G est plus avancé, comme les Etats-Unis, la Chine et la Corée du Sud, sont déjà prêts à exploiter.

L’universitaire britannique William Webb est consultant spécialisé dans les technologies sans fil, professeur invité dans de nombreuses universités européennes et étasuniennes et auteur d’un ouvrage sur le « mythe » de la 5G – The 5G Myth.

Pour lui, “la 4G continue de s’améliorer et elle est capable de faire à peu près tout ce que l’on veut. Il n’y a donc pas réellement besoin d’une nouvelle génération [de technologie mobile]. Le calendrier est davantage fixé par les industriels que par un vrai besoin des consommateurs .”

Il poursuit :

“À mon avis, la 5G qui est déployée va en réalité surtout être une 4G améliorée, au moins pour les années à venir .”

La 5G en pratique

La 5G promet pourtant des vitesses de transmission de données mobiles environ 100 fois supérieures à celles de la 4G. Elle propose trois principales innovations :

  • L’utilisation de parties sous-utilisées du spectre de fréquences radio pour transmettre les données, ce qui réduit les risques de surcharge aux heures de pointe.
  • Un délai de traitement des données (temps de latence) bien plus faible que pour la 4G. Cela signifie, en pratique, une connexion quasi-instantanée au réseau – idem pour les communications au sein de ce réseau. Cette quasi-instantanéité a un intérêt évident dans des domaines tels que les véhicules autonomes, la télé-robotique et les systèmes anti-collision – et sans doute bien d’autres, qui n’ont pas encore été inventés.
  • La possibilité de connecter davantage d’appareils et d’applications les uns aux autres qu’aujourd’hui.

Sans ces trois particularités, le très attendu « Internet des objets », avec sa charge de travail de traitement de données massive, ne pourrait pas voir le jour.

Pour réussir à traiter de tels volumes de données, la 5G va utiliser une partie du spectre électromagnétique réservée aux fréquences très élevées, aussi appelées « ondes millimétriques ». Il s’agit d’ondes à faible portée, qui ne peuvent pas traverser les murs ou les arbres, et qui s’affaiblissent et disparaissent au bout de quelques centaines de mètres. Elles peuvent être ciblées individuellement, mais doivent aussi être relayées par une « station de base » via de petites antennes, afin d’éviter les obstacles et d’atteindre leur destination. Ces dernières seront compactes, de la taille de boîtiers d’alarme incendie – voire plus petites encore.

L’ancien président de la Commission internationale pour la protection contre les rayonnements non ionisants (ICNIRP) Michael Repacholi, aujourd’hui membre émérite de l’organisation, l’assure :

“Tandis que la 5G commencera par utiliser la norme LTE (4G) et l’infrastructure existante des stations de base, le nombre de stations va devoir augmenter substantiellement (…). Pour que le réseau fonctionne, ces stations de base ont besoin d’être proches les unes des autres. Leur nombre va exploser. Néanmoins (…) les gens seront exposés à des champs de fréquences radio plus uniformes, qui seront généralement plus bas que ceux des stations de base existantes .”

Quelle est, par conséquent, la technologie la plus nocive pour la santé : les multiples antennes-relais miniatures de faible puissance qui seront utilisées pour la 5G ? Ou les plus grandes antennes, moins nombreuses mais plus puissantes, déjà installées pour la 4G ? Personne n’a, pour l’heure, apporté de réponse définitive à cette question. Mais elle préoccupe de nombreux experts. Parmi eux : la directrice de recherche à l’Institut Ramazzini de Bologne (Italie) Fiorella Belpoggi.

“Cela va modifier à la fois l’intensité et la couverture de l’espace aérien, depuis la terre et grâce à des satellites ; il n’y aura plus un endroit de la planète qui ne soit pas couvert.”

Bien que les ondes millimétriques n’aient pas été étudiées spécifiquement pour leurs effets à long terme, le fait qu’elles soient similaires à celles dont nous connaissons déjà les dangers nous inquiète encore davantage.”

Le professeur au département d’Informatique de l’université Humboldt de Berlin et spécialiste du haut débit sans fil Eckhard Grass ne nie pas que les radiations électromagnétiques des téléphones portables puissent poser un risque pour la santé. Mais il ne considère pas que la 5G aggravera ce risque.

“Plus d’antennes ne veut pas forcément dire des radiations électromagnétiques plus nombreuses ou plus fortes.”

En réalité, ajoute-t-il,

“Plus les antennes-relais sont petites, plus la distance entre le smartphone – ou n’importe quel appareil connecté – et l’antenne de la station de base est faible. Cela réduit l’énergie nécessaire à la transmission du signal (qui va du téléphone à l’antenne la plus proche), ainsi que la force du champ électromagnétique autour du téléphone, à proximité de la tête.

L’Internet des objets (IdO)

« Personne ne se demande si nous avons vraiment besoin de tout cela. » Docteure Fiorella Belpoggi.

Il est peut-être malheureusement trop tard pour se poser la question. Les appétits ont été aiguisés ; les concepteurs d’applications piaffent d’impatience. En réalité, peu de smartphones sont adaptés à la 5G. Mais cela va probablement changer rapidement, avec une multitude de nouveautés s’appuyant sur une connexion plus rapide et plus fiable, pour des usages aussi bien professionnels que personnels.

L’Internet des objets va transformer les circuits de distribution, de fabrication, les chaînes logistiques et d’approvisionnement, l’agriculture, l’industrie automobile et la santé. Nos équipements domestiques seront bientôt équipés de capteurs et connexions intégrées. Les « cuisines intelligentes » seront munies d’appareils qui conseilleront leurs propriétaires sur tous les sujets : recettes de cuisine, nutrition, réduction des déchets… Du contrôle du thermostat aux divertissements immersifs (fonctionnant grâce à la réalité virtuelle ou augmentée), la liste des nouveautés rendues possibles par la nouvelle génération de technologie mobile est longue.

Pour le directeur de la stratégie de Telecom Italia Mario Di Mauro,

“Les projets que nous développons sont le miroir de nos espoirs futurs : machines intelligentes, villes intelligentes, voitures intelligentes.”

Bien peu de domaines de nos vies échapperont à la 5G, ajoute-t-il :

“[Dans] les administrations locales, les possibilités de développement sont énormes. Les villes intelligentes ont besoin d’infrastructures, de plateformes, d’applications et de « citoyens intelligents » capables d’utiliser tout cela.”

Dariusz Leszczynski est professeur en biologie moléculaire, titulaire d’un doctorat de l’université jagellonne de Cracovie, en Pologne – d’où il est natif. Pour lui, la 5G incarnera une sorte de « meilleur des mondes » particulièrement attractif pour nombre d’entre nous.

“Les politiciens sont complètement fascinés par les argumentaires publicitaires à propos de ce merveilleux monde « intelligent », qui aura tellement d’avantages… Et c’est vrai, il aura beaucoup d’avantages. Il va générer beaucoup d’argent. [L’entreprise suédoise de télécoms] Ericsson a estimé qu’après quelques années, les profits liés à la popularisation de la 5G allaient atteindre 3 000 milliards de dollars (…). Les politiciens vont vite parce qu’ils savent que cela créera des emplois et de la richesse. Qui pourrait être contre ?

Mais il anticipe aussi des problèmes plus rarement soulignés, tels que les menaces sur la cyber-sécurité, les pannes matérielles et logicielles… ainsi que l’exposition des consommateurs – ceux-là même à qui cette technologie est supposée rendre service – à des niveaux de radiation inconnus jusqu’à présent.

La réalité commerciale des choses

Certains dirigeants d’industrie, comme le PDG de Vodafone Portugal Mário Vaz, sont également prudents.

“Les nouvelles technologies ne devraient pas découler d’une décision réglementaire ou politique. Elles doivent venir d’un besoin du marché (…). La 5G va voir le jour, c’est inévitable. La 5G sera nécessaire. Mais il faut que (…) ce besoin accru de données soit justifié.

La pandémie de Covid-19 et les restrictions de mouvement qui l’accompagnent vont probablement provoquer des retards dans le calendrier de déploiement de la 5G. Mais l’obligation de confinement a également fait bondir la demande de connexion Internet à domicile, ce qui pourrait, à l’inverse, jouer en faveur d’une accélération du déploiement.

Poids économique

Il faudra des années avant de pouvoir mesurer de l’impact économique de la 5G, avertissent un certain nombre de prévisionnistes – peut-être même faudra-t-il attendre 2035. Mais les chiffres d’ores et déjà annoncés sont impressionnants : jusqu’à 12 billions (milliers de milliards) de dollars, soit près de 11 billions d’euros de biens et services, synonymes de millions de nouveaux emplois, dont le contenu reste encore largement inconnu.

Pour nombre d’entre nous, pourtant, la santé reste plus importante que tous les objets du monde – aussi « cool » et multifonctions qu’ils soient. C’est ce que rappellent les mots de mise en garde de Lennart Hardell, oncologue à l’hôpital universitaire d’Örebro, en Suède :

“Avons-nous besoin, chez nous, d’objets qui communiquent entre eux ? De frigos qui disent quand le lait est périmé et en recommandent une nouvelle bouteille ? Ces innovations risquent de nous faire oublier la joie quotidienne des petites décisions. Elles vont rendre les êtres humains plus passifs. Sans parler du risque que ces technologies soient utilisées à des fins de surveillance et de contrôle par des pouvoirs totalitaires. Sommes-nous sûrs que c’est le genre de société que nous voulons ?

*Cet article a été réalisé en janvier 2019 mais toutes les citations qui y figurent ont été mises à jour en avril 2020.

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Les effets de la 5G sur la santé

Janvier 2019*

Lorsqu’on évoque la 5G, c’est bien souvent avec une pluie de superlatifs – faisant miroiter une révolution dans les connaissances, les services et les communications en ligne – et la ferme intention de susciter l’envie des consommateurs, alors même que son déploiement n’est pas encore terminé. Ces hyperboles nous feraient presque oublier de nous interroger plus en détails sur la 5G, et en particulier sur son impact sur la santé humaine et les organismes vivants qui nous entourent.

Dans plusieurs villes d’Europe, des manifestations ont été organisées pour rappeler les dommages – déjà pointés par des scientifiques – qu’elle pourrait causer. Les manifestants réclament davantage de recherches scientifiques sur les radiations accrues auxquelles va nous exposer la 5G. Dans le même temps, un certain nombre de chercheurs se plaignent que leurs avertissements en matière de santé soient étouffés par l’ampleur des enjeux économiques et politiques dans ce dossier ultra-médiatisé.

Lennart Hardel en fait partie. Cet oncologue de l’hôpital universitaire d’Örebro, en Suède, est connu pour ses recherches sur les facteurs environnementaux du cancer ainsi que pour ses études qui affirment l’existence d’un lien entre utilisation de téléphones portables et tumeurs au cerveau.

“Aujourd’hui, le problème n’est plus d’ordre scientifique », explique-t-il. « Il y a suffisamment d’études scientifiques pour démontrer qu’il existe des risques – même si bien entendu, il faut poursuivre les recherches. Le problème est d’ordre politique et économique. Nous sommes face à une industrie qui pèse des milliards d’euros et peut faire ce qu’elle veut, puisque les politiciens lui sont acquis et qu’elle a réussi à infiltrer les organisations qui définissent les normes en matière de radiations.

Un autre scientifique en pointe dans ce domaine, le biologiste moléculaire Dariusz Leszczynski (docteur de l’université jagellonne de Cracovie, en Pologne), estime qu’il est préférable de ralentir le déploiement de la 5G en attendant d’avoir plus de données quant à ses effets sur la santé.

“Je ne pense pas que tous les utilisateurs de téléphones portables soient condamnés à développer un cancer. Mais certains le pourraient, et le problème est que nous ne savons pas qui exactement. Nous n’avons pas de connaissances suffisantes pour déterminer quelle combinaison de gènes et de facteurs environnementaux va rendre une personne plus susceptible de répondre à cette radiation d’une manière qui pourrait causer, par exemple, un cancer du cerveau.

Après les radiations, encore des radiations

Il existe deux types de rayonnements : ionisants et non-ionisants. Les radiations dites de radiofréquence, dont les ondes de téléphones portables font partie, sont non-ionisantes – tout comme les ultraviolets, la lumière visible par l’œil humain, les installations du réseau électrique ou les ondes radio. Les fréquences supérieures aux ultraviolets, elles, telles que les rayons X et les rayons gamma, sont ionisantes et hautement cancérogènes.

En 2011, les radiofréquences électromagnétiques ont été reclassées en « possiblement cancérogènes » par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). « Possiblement » car il n’y a pas suffisamment de preuves qu’une exposition pourrait être la cause de cancers chez des humains – la même classification s’applique, au passage, au fait de manger des légumes marinés ou d’utiliser du talc en poudre. Mais suite à des études menées depuis 2011, de nombreux scientifiques appellent à réviser le classement des radiations de radiofréquence en « probablement cancérogène ». C’est le cas du professeur Hardell.

“J’étais l’un des trente scientifiques à être d’accord pour classer les radiofréquences en « possiblement cancérogènes » en 2011. (…) Sur la base de recherches ultérieures menées sur des animaux et d’études épidémiologiques menées sur des humains, nous avons désormais des raisons d’affirmer que les radiations de radiofréquences émises par les technologies sans fil sont un cancérogène pour l’être humain de Groupe 1, selon la définition du CIRC.

Il poursuit : “L’un des cancers qui augmente le plus est le cancer de la thyroïde. Cela n’est pas forcément uniquement dû à de meilleurs diagnostics : les rayonnements émis par les technologies sans fil y sont peut-être aussi pour quelque chose. Par ailleurs, on observe également une augmentation du nombre de tumeurs du cerveau.

À une épaisseur de peau près

La 5G émet des ondes dites millimétriques, dont l’effet thermique (ou chauffant) local est connu, mais qui ne pénètrent pas dans la peau. Pour le professeur de biologie moléculaire Dariusz Leszczynski, c’est pourtant déjà un problème.

“On nous rassure en nous répétant : « Ce n’est que la peau, ça ne va pas jusqu’au cerveau, tout va bien. ». Mais non, ça ne va pas bien : la peau est le plus grand de nos organes. Elle est pleine de cellules qui régulent notre réponse immunitaire. Si nous perturbons la réponse immunitaire de notre peau, nous perturbons la réponse immunitaire de tout notre corps.

Depuis qu’il a créé la revue Microwave News à New York en 1981, Louis Slesin n’a jamais cessé d’écrire sur l’impact sanitaire et environnemental des champs électromagnétiques (et autres types de rayonnements non-ionisants). Il partage les réserves de Dariusz Leszczynski.

“L’argument qui voudrait que les radiations de radiofréquences ne provoquent pas de cancer parce qu’elles n’auraient pas la quantité d’énergie suffisante pour briser l’ADN est simpliste et idiote. Le rayonnement pourrait, par exemple, empêcher l’ADN de se réparer correctement. Ce sont les deux faces de la même médaille : soit il casse l’ADN, soit il empêche sa réparation – au final, le résultat est le même.”

“Je pense qu’il y a d’autres interactions, plus complexes, que le seul effet thermique. Il est quasi-impossible qu’il n’y en ait pas : trop d’études montrent que des effets existent.

Pour David Gee, ancien directeur de recherche à l’Agence européenne pour l’environnement (AEE), il faut revoir l’idée « obsolète » selon laquelle la peau ne pourrait être endommagée que lorsque l’énergie des ondes radio est suffisamment puissante pour provoquer de la chaleur.

“Nous savons que les cellules de notre corps échangent entre elles de deux manières : les messages chimiques et les messages électriques. Il n’est pas compliqué de comprendre (…) qu’une brève interférence extérieure dans cette conversation entre cellules va brouiller l’échange.

Lorsqu’il est question de 5G, de nombreux scientifiques présentent ou citent des résultats qui, assurent-ils, devraient conduire à respecter le principe de précaution entériné par le droit européen – l’idée selon laquelle « mieux vaut prévenir que guérir ». En 2014, l’Organisation mondiale de la santé déclarait pourtant qu’« il n’a jamais été établi que l’utilisation du téléphone portable puisse être à l’origine d’un effet nocif sur la santé ». Mais six ans plus tard, la recherche a évolué et les scientifiques sont divisés sur les risques pour la santé des radiations du champ électromagnétique. Selon Esra Neufeld, docteur et chef de projet à la Fondation pour la recherche sur les technologies de l’information dans la société (IT’IS), basée à Zurich, cette division entre scientifiques ne risque pas de disparaître de sitôt.

“Certains nient catégoriquement qu’il puisse y avoir des effets autres que thermiques (…) D’autres estiment que les effets non-thermiques sont très sous-estimés. La littérature [scientifique] est toujours très contradictoire.”

Comment l’agence chargée de fixer les normes européennes en la matière, la Commission internationale pour la protection contre les rayonnements non ionisants (ICNIRP), compose-t-elle avec les preuves contradictoires qui lui sont soumises ? Pense-t-elle qu’il n’y a pas d’effets autres que thermiques ? Nous avons interrogé son président, Eric Van Rongen :

“Non, ce n’est pas ce que nous pensons. Nous savons qu’il existe des effets non-thermiques. Mais nous n’avons pas la certitude qu’ils soient mauvais pour la santé. Tous les changements au sein d’un système biologique ne sont pas considérés comme nocifs. De nombreux effets biologiques peuvent être causés par une exposition au champ électromagnétique mais ils ne sont pas forcément répertoriés comme des effets néfastes sur la santé.

“Il faut retenir une chose : l’exposition [aux radiations] va sans aucun doute représenter un danger pour notre santé. C’est la seule base pertinente pour fixer des directives concernant cette exposition.

Risques pour la fertilité des femmes et des hommes

La 5G va utiliser des fréquences plus élevées du spectre que ne le faisaient les réseaux téléphoniques précédents ; cela permettra un plus grand nombre de connexions simultanées, et des vitesses plus élevées. Ses ondes radio-fréquence parcourent des distances plus courtes et disparaissent après quelques centaines de mètres. Le réseau 5G a donc besoin de passer par un plus grand nombre d’émetteurs pour arriver à destination. De petites stations de base de téléphonie mobile vont fleurir sur les murs, les réverbères et partout dans le paysage urbain.

Mais le directeur de l’Institut pour la santé et l’environnement de l’université d’Albany (Etats-Unis) David Carpenter estime que la 5G ne devrait pas être déployée tant qu’il n’y a pas d’études suffisantes concernant ses éventuels risques pour la santé.

“Il n’y a pas d’étude solide sur les effets nocifs des champs électromagnétiques en général, et quasiment pas d’étude sur les fréquences élevées spécifiques qui vont être utilisées par la 5G (…) Nous avons déjà des preuves claires d’augmentation du nombre de cancers du cerveau et d’autres formes de cancer provoquées par une exposition trop forte aux téléphones portables, au wifi et à d’autres sources de radiations électromagnétiques.

Il est possible que la 5G ne pénètre pas au-delà de la peau et des yeux, et soit donc moins dangereuse que la 3G et la 4G. Mais il reste malgré tout deux grands sujets de préoccupation. D’abord, les plan actuels prévoient que des antennes relais miniatures émettent simultanément de la 3G, de la 4G et de la 5G – ce qui augmenterait fortement notre exposition à des fréquences que l’on sait dangereuses. Il faut par ailleurs les effets de la 5G sur la peau et les yeux, même si elle ne pénètre pas au-delà, soient éclaircis avant que cette technologie ne soit largement répandue.

“Ensuite, nous avons désormais des preuves d’une baisse du taux de fertilité, à la fois chez les hommes et les femmes, ainsi que d’une augmentation de l’incidence du syndrome d’hypersensibilité électromagnétique – qui provoque de la fatigue, des maux de tête et des troubles cognitifs lorsque les personnes concernées sont en présence de rayonnements.

Études de référence

Parmi la littérature scientifique sur les risques de la 5G pour la santé, deux études en particulier sont régulièrement citées.

La première, menée par le Programme national de toxicologie du ministère de la Santé américain, consistait à exposer des rats et souris à de hauts niveaux de radiations électromagnétiques de téléphones portables durant deux ans – y compris avant leur naissance. Les résultats, publiés en 2018, démontraient que dans certains cas, des rats mâle avaient développé des tumeurs au cœur, au cerveau et au niveau de la glande surrénale. Paradoxalement, les rats exposés aux radiations vivaient plus longtemps que ceux du groupe de contrôle (non exposés).

La seconde étude a été menée uniquement sur des rats, sur une durée plus réduite, à l’institut Ramazzini de Bologne (Italie). La directrice de recherche de l’Institut, Fiorella Belpoggi, souligne qu’elle a permis de constater une augmentation « statistiquement significative » du nombre de tumeurs.

Les deux études ont été critiquées par certains comme n’étant pas suffisamment définitives, ce à quoi la docteure Belpoggi répond : « Quelle importance ont les chiffres au niveau global, si j’ai une tumeur au cerveau et que le lien entre les ondes électromagnétiques et le cancer a été prouvé scientifiquement ? »

“Le risque est faible », poursuit-elle. « On ne parle PAS ici de chlorure de vinyle ou de formaldéhyde, nous ne sommes pas face à de puissants cancérogènes. Mais il faut garder à l’esprit que si on remplace 2800 animaux par 2,8 millions, même les chiffres des tumeurs au cerveau peuvent être plus élevés de manière « statistiquement significative » ».

Fixer des limites pertinentes

En Europe, l’organisme chargé d’évaluer la littérature scientifique disponible concernant les effets des champs électromagnétiques sur les humains est la Commission internationale pour la protection contre les rayonnements non ionisants (ICNIRP). La Commission se base sur cette revue de littérature pour fixer des recommandations en matière de seuils d’exposition. Eric Van Rongen est son président.

“[Ces deux études] ont seulement démontré l’augmentation d’un type spécifique de tumeur au cœur des rats mâles. À partir de là, les Américains ont conclu qu’une exposition aux radio-fréquences avait un net effet cancérogène. L’ICNIRP ne partage pas cette conclusion.

Quelle serait la position de l’ICNIRP si celle-ci avait son mot à dire sur le déploiement de la 5G ? « Des recherches de plus long termes » sont nécessaires, indique-t-il. Mais…

“À titre personnel, je n’hésiterai pas à déployer la 5G. Cela ne fait pas de doute, le type d’exposition [qu’elle provoquera] sera différent de ce que nous connaissons aujourd’hui. Il est même possible que dans certains cas, le niveau d’exposition soit plus faible avec la 5G .”

Et ensuite ? Perspectives pour le futur

Pendant ce temps, la technologie continue d’avancer à grands pas. La 5G est testée en Europe et les enchères à plusieurs milliards d’euros du spectre de fréquences, nécessaires au déploiement, étaient prévues pour cet été – jusqu’à ce que la pandémie de Covid-19 ne vienne les repousser.

Il n’est pourtant pas trop tard pour mettre en pause le processus et prendre le temps de faire le bilan, estime Ernst von Weizsäcker, ancien directeur de l’université de Cassel et de l’institut Wuppertal, deux institutions allemandes à la pointe de la recherche sur les questions environnementales.

“Nous ne savons pas de manière certaine si les technologies de transmission de données mobiles posent des risques pour la santé. Mais nous ne pouvons pas non plus l’exclure pour le moment. Il faut donc insister pour que les risques sanitaires associés au rayonnement radio-fréquence permanent des appareils mobiles soient étudiés avant que l’on n’expose toute la population à des niveaux encore plus élevés de rayonnements électromagnétiques.”

*Cet article a été réalisé en janvier 2019 mais toutes les citations qui y figurent ont été mises à jour en avril 2020.