TCE : Cet obscur traité qui menace les objectifs climatiques européens

Credit: Alexia Barakou

Les signataires de ce texte, à savoir tous les États membres excepté l’Italie, garantissent les droits fondamentaux d’investisseurs étrangers. Ainsi, si une multinationale de l’énergie considère qu’un gouvernement a enfreint les principes de « traitement juste et équitable », alors il est en pouvoir de le poursuivre et d’obtenir des milliards d’euros d’indemnités en saisissant les différentes tribunaux internationaux d’arbitrage. Ce traité a été signé dans les années 1990, afin de protéger les entreprises occidentales qui prendraient le risque d’investir dans les initiatives énergétiques de l’ex bloc soviétique. Seulement depuis, le texte est en premier lieu utilisé par des sociétés européennes pour poursuivre les États membres. Dans les années à venir, cette épée de Damoclès pourrait empêcher les États d’adopter des politiques environnementales ambitieuses. C’est d’ailleurs ce qui est déjà en train de se passer.


Comment marche le traité sur la charte de l’énergie ?

Alexia Barakou et Reporters’ United (Grèce) pour Investigate Europe

Notre enquête démontre :

Que le secteur des énergies fossiles en Europe, au Royaume-Uni et en Suisse, protégé par le Traité sur la charte de l’énergie (TCE), vaut 344,6 milliards d’euros. Ce qui correspond au double du budget annuel total de l’UE, et à 660 euros par habitant.e.

Que trois quarts des infrastructures d’energies fossiles protégées concernent les champs gaziers et pétroliers (126 milliards d’euros) ainsi que les pipelines (148 milliards d’euros)

Depuis que les investisseurs ont le pouvoir de poursuivre les gouvernements pour défendre non seulement leurs infrastructures mais aussi leurs manques à gagner, les sommes des éventuels dédommagements ont explosé.

Afin de ramollir les ambitions des lois sur le climat, les sociétés n’ont même pas besoin d’aller au tribunal. La simple menace suffit à influencer les décisions politiques. Parfois les sociétés ne craignent pas de menacer ouvertement les gouvernements.

Bien que le TCE soit supposé protéger les investissements dans des régions instables, dans 74% des cas, les poursuites des sociétés européennes ont visé des États membres.

Les États signataires ne s’entendent pas sur la façon de gérer le TCE, même si officiellement la Commission a trouvé une position commune pour le moderniser d’ici la mi février. La France et l’Espagne ont même poussé pour décaler les choses, ce qui reste une option.

Malgré une ligne européenne commune, il est difficile de savoir si le TCE peut être modernisé. Cette décision doit être soumise à l’unanimité et le Japon a déjà annoncé qu’il s’opposerait à toute modification sur le texte.

Quitter le Traité n’est pas facile : les États peuvent être poursuivis même 20 ans après avoir mis les voiles. Quand l’Italie a quitté le Traité en 2016, la société pétrolière britannique Rockhopper l’a poursuivie en 2017, pour pouvoir continuer à produire du pétrole et du gaz près des côtes. Elle a argué que la position italienne lui coûterait 275 millions de dollars d’investissements perdus et de manque à gagner. Le verdict est attendu pour le printemps 2021.

Le système des tribunaux internationaux d’arbitrage est un club fermé. Ses acteurs et actrices peuvent jouer de multiples rôles dans un système qui leur permet de toucher des honoraires pratiquement illimités (et payé.e.s avec de l’argent public)

Les avocat.e.s surnomment ce système la « roulette russe », une « erreur mémorable » ou bien voient dans le jeu de chaises musicales de l’arbitration de potentiels conflits d’intérêts.

La direction du secrétariat du TCE (qui administre le Traité) est très liée à l’industrie des énergies fossiles.

En décembre 2019, les membres du TCE se sont entendu.e.s sur une « pause temporaire dans les invitations à accéder au traité », en donnant pour prétexte les discussions quant à la modernisation du traité. Mais le budget 2021 du Traité, calculé sur les contributions des États membres, a permis d’ajouter plus d’un demi million d’euros dans les caisses, pour consolider ou étendre son influence. Trois pays africains sont en passe de ratifier le Traité, et ils seront bientôt rejoints par dix autres. Ces gouvernements courent un grand risque de se voir poursuivis devant les tribunaux dès qu’ils auront apposé leur signatures, affirment les détracteurs et détractrices.


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