Réformes sur la transparence dans l’UE : ne pas faire les choses à moitié

General view of the roundtable, Council of the EU, Brussels
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Roundtable at the Competitiveness Council, February 2020 in Brussels

Le premier juillet, l’Allemagne prendra la Présidence du Conseil des ministres de l’Union Européenne, à la suite de la Croatie. Le Conseil des ministres, souvent désigné par « Conseil », est l’un des deux organes de décisions de l’UE. En tant que Présidente, en 2020, l’Allemagne planifiera et dirigera toutes les rencontres entre les ministres européens.

Il y a un an, c’est la Finlande qui se trouvait à cette place. Pendant six mois, le gouvernement finlandais a rendu publics de nombreux documents internes du Conseil, grâce aux archives numérisées. Il a aussi beaucoup communiqué sur Twitter quand ont commencé de nouvelles procédures législatives ordinaires entre le Conseil et le Parlement Européen (les fameux « trilogues »). Il a aussi enregistré des réunions de lobbying entre hauts fonctionnaires, qui se sont tenues à l’Ambassade finlandaise de Bruxelles.

En menant ces changements mineurs, le gouvernement finlandais avait pour objectif de montrer à ses homologues européens que faire preuve d’un peu plus de transparence ne ferait de mal à personne. C’était une bonne stratégie : le gouvernement croate qui a repris la présidence a suivi l’exemple, et aujourd’hui l’Allemagne est en passe de faire perdurer cette nouvelle tradition.

© Lauri Heikkinen/valtioneuvoston kanslia
La Première ministre finlandaise annonce au Parlement la Présidence du pays au Conseil Européen

Mais au Conseil, ces petits changements, même cosmétiques, ont rencontré une forte résistance. À la suite d’un rapport critique de la médiatrice européenne qui avait appelé en 2018 à une « transparence législative », des tentatives récentes de lancer une réforme pour une plus grande transparence ont été bloquées par certains gouvernements appartenant au Conseil. Parmi eux, le Portugal et la France, deux pays qui occuperont bientôt le siège de la présidence du Conseil. Voilà pourquoi les regards se tournent vers l’Allemagne.

« Pour l’instant, le gouvernement allemand ménage la chèvre et le chou quand il s’agit d’avancer sur le programme de réforme legislative et de renforcer le contrôle démocratique du processus décisionnel du Conseil. Elle n’est ni absolument pour, ni totalement contre. Ça ne suffit pas », peut-on lire dans le rapport récent Tainted love – corporate lobbying and the upcoming German EU Presidency, qu’ont publié les ONG luttant pour la transparence face aux lobbys, Corporate Europe Observatory (CEO) et Lobbycontrol.

Corporate Europe Observatory
Le rapport Tainted Love

Aujourd’hui, ce ne sont pas les acteurs habituels, les journalistes et les activistes, qui se plaignent de la nature cachottière du Conseil, les critiques sont bien plus proches que cela. Les Parlements danois et néerlandais, par exemple, poussent pour plus de transparence, afin de contrôler mieux les actions de leurs gouvernements, à Bruxelles. Même chose pour le Parlement européen.

Inspiré.e.s par le rapport de la Médiatrice Européenne, la Finlande, les Pays-Bas, le Danemark, l’Estonie, l’Irlande, la Lettonie, le Luxembourg, la Slovénie et la Suède ont tous et toutes appelé à une meilleure transparence au Conseil. Mais même ces gouvernements pro-transparence ne parviennent pas à exiger une véritable transparence législative.

En effet, cela signifierait que les citoyens et citoyennes europén.ne.s pourraient avoir accès aux positions de leurs gouvernements sur chaque dossier avant même qu’une décision soit prise. Cela permettrait aux personnes d’influencer leurs représentants politiques, ou bien de les tenir responsables.

Dans le système européen, il existe deux corps législatifs : le Parlement Européen et le Conseil des ministres. Le Parlement est soumis à la transparence. Il est possible de connaître les positions des groupes politiques et les propositions d’amendements avant que le vote ait lieu. De même, les débats et les séances de vote des différents comités sont diffusés en direct.

Cela signifierait que les citoyens et citoyennes europén.ne.s pourraient avoir accès aux positions de leurs gouvernements sur chaque dossier, avant même qu’une décision soit prise.

Au Conseil, c’est autre chose : seul le vote final est enregistré. Toutes les étapes menant au vote, se passent derrière des portes closes. Impossible pour le public de savoir qui du gouvernement polonais ou allemand a demandé à ce qu’un article soit retiré dans une loi européenne, qui de la Belgique ou de la Bulgarie a réussi à hausser un quota, ce que le gouvernement français ou italien a réussi à obtenir en échange d’un vote positif.

Les ONG CEO et Lobby Control accusent les gouvernements de faire des compromis en jonglant entre différents dossiers législatifs. Et tout cela derrière des portes fermées. Un exemple est cité par différentes sources du rapport Tainted Love : quand l’Allemagne et le Royaume-Uni se sont arrangés pour se soutenir mutuellement sur deux propositions de loi qui n’avaient absolument rien à voir. Le Royaume-Uni a soutenu la position de l’Allemagne (elle-même influencée par ses fabricants automobiles) de réduire les objectifs de réduction du CO2 pour les voitures, et en échange, l’Allemagne a soutenu la position du Royaume-Uni sur l’Union Bancaire.

La culture du Conseil des ministres n’est pas une culture parlementaire, nourrie de conflits politiques et de discussions ouvertes. Mais le Conseil demeure un corps législatif niché dans le système de l’Union Européenne, ce n’est pas un petit dîner entre diplomates. Les lois européennes ne seront jamais vraiment légitimes, si les citoyennes et citoyens européen.ne.s ne peuvent pas les comprendre, ni avoir quelqu’influence que ce soit. La vraie transparence démocratique ne pourra jamais se réformer, si les choses sont faites à moitié.


Lisez toute notre enquête (en anglais) Les secrets du Conseil