Les hypocrites de La Haye

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Dutch Prime Minister Mark Rutte

Vraiment, sans conteste, les Néerlandais.e.s sont mes voisin.e.s européen.ne.s préféré.e.s.

Mais dès que le poison du nationalisme d’extrême droite a commencé de pénétrer de plus en plus profondément les arcanes politiques néerlandais, cette jolie image a commencé à disparaître sous d’affreuses tâches d’ignorance et d’étroitesse d’esprit. Et cela se produit au détriment de toute l’Europe.

Le Premier ministre Mark Rutte l’a démontré pendant les négociations du budget européen et du programme d’aides lié au Covid-19. À cette occasion, il a pris la tête du camp dit des « frugaux », celles et ceux qui se se sont opposé.e.s à la prétendue menace de gâcher l’argent des contribuables en aidant des États européens plus faibles économiquement. Sous ce prétexte, Mark Rutte et ses allié.e.s ont imposé d’importantes réductions et ont transformé plus de 100 milliards d’euros de subventions prévues en simples prêts. Ça ne va pas aider les Italien.ne.s et les Espagnol.e.s, très durement touché.e.s par la crise, et dont les caisses de l’état sont déjà criblées de dettes.

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Réunion du groupe des « frugaux », lors de la réunion du Conseil Européen, en juillet

C’est déjà assez grave, parce que les nouvelles mesures retirent précisément du plan d’origine les éléments qui avaient été pensés pour permettre à l’Europe de construire un avenir commun uni, neutre du point de vue climatique et basé sur la solidarité. Tous les espoirs sont désormais dans les mains du Parlement européen, qui peut pousser les gouvernements à revenir sur les terribles erreurs commises grâce à la stratégie de chantage des Néerlandais.e.s et de leurs allié.e.s. Mais quel que soit le résultat final, ce qui est intolérable, c’est cette attitude de monsieur-je-sais-tout qu’affiche Mark Rutte quand il dit « protéger les intérêts des Pays-Bas » (selon lui). Le Premier ministre et son Ministre des finances Wopke Hoekstra se présentent comme des professeurs, donnant des leçons aux autres gouvernements sur les réformes nécessaires à mener pour restructurer leurs économies ou leurs finances publiques.

Mais s’il y a bien des politiciens au pouvoir en Europe qui n’ont pas le droit de se présenter ainsi, c’est bien Mark Rutte et ses collègues de La Haye. Parce que c’est bien eux qui, en toute conscience, ont systématiquement infligé des dommages à hauteur de centaines de milliards d’euros à d’autres États européens, et ce pendant de nombreuses années. Ils maintiennent un système fiscal qui permet aux multinationales d’utiliser des boîtes postales basées au Pays-Bas, pour déplacer leurs profits vers des paradis fiscaux comme les Bermudes ou les Îles Caïmans, ce qui réduit ainsi leurs imposition à moins de cinq pour cent. Cette manoeuvre bénéficie aux Pays-Bas, et se fait aux dépens des autres pays.

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Le Président du Conseil Européen, Charles Michel (à gauche), lors de sa rencontre avec le Premier ministre Mark Rutte, en juillet.

Année après année, plus de 90 milliards de dollars en profits des entreprises circulent via des comptes néerlandais, selon les données récemment publiées par l’OCDE. Grâce à cela, tous les ans, plus de 40 milliards d’euros de profit des seules sociétés américaines échappent à l’impôt européen. Des experts du Tax Justice Network ont fait les calcul : ces sociétés américaines détroussent les caisses de l’Union Européenne d’au moins 10 milliards d’euros chaque année. Pour chaque euro que La Haye tire de ce stratagème, il en coûte quatre aux autres pays européens. Pour l’Italie, par exemple, il en coûte 1,5 milliards d’euros par an.

Et puis, les compagnies européennes profitent tout autant de ce système, bien sûr. En Italie, des sociétés comme Fiat-Chrysler, Luxottica, Campari, Ferrero, Barilla et Segafredo tirent leurs épingles du jeu, selon une enquête du journal « Il Fatto Quotidiano ». Les conséquences directes dépassent probablement les 1,5 milliards d’euros. Dans ce contexte, il serait compréhensible que Rome demande des milliards de compensations aux Pays-Bas et fasse pression pour que le calendrier de réformes en retard soit pris en main. À contrario, ce n’est pas compréhensible que les Néerlandais.e.s imposent leurs vision de la politique budgétaire aux Italien.ne.s.

Dans tous les cas, la critique sur le prétendu manque de sérieux des Italien.ne.s est aussi arrogante qu’irréelle. Sur 20 des 24 dernières années, la trésorerie Italienne a réalisé un excédent primaire de recettes par rapport aux dépenses plus élevé que les Pays-Bas. Seul l’intérêt sur le poids de dette, qui date de l’époque de la lire, vient saper le reste.

Pendant ce temps là, les Néerlandais.e.s sont en fait les champion.ne.s de la dette en Europe. Si vous ajoutez les emprunts des particuliers à ceux des sociétés, la dette combinée de leur économie est plus forte que celle de n’importe quel autre pays européen et 20% plus élevée que celle des économes Italien.ne.s. Cela rend l’économie néerlandaise très vulnérable. Quand éclatera le prochain choc économique lié au changement climatique, le pays blotti derrière ses digues va surement être le plus durement touché. Mais que se passera-t-il quand les Néerlandais.e.s compteront sur la solidarité européenne ?

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